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Par lutherien le 1 Décembre 2009 à 08:18
La richesse de l'Eglise...
Une réception à la cour du pape Clément VI (pape à Avignon de 1342 à 1352).
Récit d'un témoin oculaire (chronique italienne) à propos d'une réception donnée par le cardinal* Annibal de Ceccano en l'honneur du pape dans sa livrée* des environs d'Avignon.
« On introduisit le pape dans une salle tendue, du plancher au plafond, de tapisseries d'une grande richesse. Le sol était recouvert d'un tapis velouté. Le lit de parade était garni de velours cramoisi très fin, doublé d'hermine blanche, de draps d'or et de soie. À table, le service fut fait par quatre chevaliers et douze écuyers* du pape, qui reçurent chacun de l'amphitryon* : les premiers, une riche ceinture d'argent et une bourse valant vingt-cinq florins d'or ; les écuyers, une ceinture, et une bourse d'une valeur de douze florins. Cinquante écuyers appartenant au cardinal Ceccano assistaient les chevaliers et les écuyers pontificaux*. Le menu comprenait neuf services qui se décomposaient chacun en trois plats, soit au total vingt-sept plats. On vit apparaître, entre autres, une sorte de château fort renfermant un cerf gigantesque, un sanglier, des chevreuils, des lièvres, des lapins. Après le quatrième service, le cardinal fit offrir au pape un destrier* blanc, d'une valeur de quatre cents florins d'or, et deux anneaux ornés, l'un d'un énorme saphir, l'autre d'une non moins énorme topaze*. Chacun des seize cardinaux reçut un anneau enrichi de pierres fines ; il en fut de même des vingt prélats ou seigneurs laïques. Les douze jeunes clercs* de la maison pontificale reçurent une ceinture et une bourse d'une valeur de vingt-cinq florins d'or ; les vingt-quatre sergents d'armes : une ceinture valant trois florins. (...)Après le cinquième service, on apporta une fontaine surmontée d'une tour et d'une colonne d'où s'échappait cinq espèces de vin. Les margelles de cette fontaine étaient ornées de paons, de faisans, de perdrix, de grues et de divers autres volatiles. L'intervalle entre le septième et le huitième service fut occupé par un tournoi qui eut lieu dans la salle même du festin, qui se termina par un concert. Au dessert, on apporta deux arbres, l'un qui semblait en argent, garni de pommes, de poires, de figues, de pêches et de raisins d'or ; l'autre, vert comme un laurier, garni de fruits confits multicolores. »
Cité dans R. DARBOIS, Quand les papes régnaient en Avignon, Paris, Fayard, 1981, p. 89-90.
& Vocabulaire :
. amphitryon : hôte qui offre à dîner.
. cardinal : religieux de haut rang dans l'Église catholique membre du Sacré
. collège (électeur et conseiller du pape).
. clerc : membre du clergé (ensemble des ecclésiastiques d'une Église).
. destrier : cheval de combat au Moyen Âge.
. écuyer : gentilhomme au service d'un chevalier.
. livrée : palais édifié pour un cardinal.
. pontificaux : au service du pape.
. topaze : pierre précieuse.
Un courant mystique : l'imitation de Jésus-Christ
Au XVe siècle, à partir de la Hollande, un courant spirituel, appelé devotio moderna, gagne tout le nord-ouest de l'Europe. D'inspiration mystique, il préconise pour le fidèle la recherche d'un contact direct avec Dieu par la prière et par une piété simple et affective. Cette spiritualité s'exprime bien dans l'Imitation de Jésus-Christ. Au cours des siècles suivants, cet ouvrage est demeuré un grand classique spirituel, apprécié aussi bien par les catholiques que par les protestants :
"J'écouterai ce que le Seigneur Dieu dit en moi.Heureuse l'âme qui entend le Seigneur lui parier intérieurement, et qui reçoit de sa bouche la parole de consolation !
Heureuses les oreilles toujours attentives à recueillir ce souffle divin, et sourdes au bruit du monde !
Heureuses, encore une fois, les oreilles qui écoutent non la voix qui retentit au-dehors, mais la vérité qui enseigne au-dedans ! (...)
Heureux ceux qui pénètrent les mystères que le coeur recèle, et qui, par des exercices de chaque jour, tâchent de se préparer de plus en plus à comprendre les secrets du Ciel !
Heureux ceux dont la joie est de s'occuper de Dieu et qui se dégagent de tous les embarras du siècle !
Considère ces choses, ô mon âme, et ferme la porte de tes sens, afin que tu puisses entendre ce que le Seigneur ton Dieu dit en toi.
Voici ce que dit ton bien-aimé : je suis votre salut ; votre paix et votre vie.
Demeurez près de moi, et vous trouverez la paix. Laissez là tout ce qui passe. Ne cherchez que ce qui est éternel. (...)
Renoncez à tout, et occupez-vous de plaire à votre Créateur et de lui être fidèle, afin de parvenir à la vraie béatitude."
extrait de L'imitation de Jésus-Christ, trad. Lamennais, 111, 1-2.
Un "précurseur" : Savonarole
- Extrait d'un sermon de Savonarole prononcé le dimanche de l'Avent (dimanche avant Noël) de 1493.
"Les prêtres nous rebattent les oreilles d'Aristote, de Platon, de Virgile et de Pétrarque, et ils n'ont cure du salut des âmes. Pourquoi tant de livres au lieu du livre unique qui renferme la loi et la vie ? Chrétiens, vous devriez toujours avoir sur vous l'Evangile, j'entends non pas le livre mais son esprit. (...)
La charité chrétienne n'habite point dans les livres. Les véritables livres du Christ sont les apôtres et les saints, et la véritable vie consiste dans l'imitation de sa vie. Mais de nos jours ces hommes sont devenus des livres du diable. Ils parlent contre l'orgueil et l'ambition, et ils y sont plongés jusque par-dessus les oreilles. Ils prêchent la chasteté et ils entretiennent des maîtresses. Ils commandent l'observation du jeûne et ils vivent dans le luxe. (...)
Les prélats [ = membres du haut clergé] se rengorgent dans leur dignité et méprisent les autres; ils prétendent qu'on se courbe devant eux; ils veulent occuper les premières chaires [= postes] dans les écoles et les églises d'Italie. Ils aiment qu'on aille à leur rencontre, le matin, sur le marché, qu'on les salue du nom de "maître"(...). Ils n'ont de pensées que pour la terre et pour les choses terrestres; le souci des âmes ne leur tient plus au coeur. Dans les premiers temps de l'Eglise, les calices [= vase sacré pour le vin de messe] étaient de bois et les prélats d'or; aujourd'hui l'Eglise a des calices d'or et des prélats de bois."
Le moine Savonarole, devenu maître de la ville de Florence grâce à l'appui populaire, entrepris d'imposer un ordre moral très rigoureux (1494-1498). En conflit avec le pape AlexandreVI Borgia, il fut finalement brûlé comme hérétique en 1498. Il ne remit jamais en cause l'orthodoxie catholique contrairement à Luther.
La légende noire du pape Alexandre VI (1492 – 1503)
« 1492. - Le successeur d’Innocent fut Rodrigue Borgia, natif de Valence, une des cités royales d’Espagne, cardinal parmi les plus anciens et les plus importants de la cour de Rome, élevé cependant au pontificat par les dissensions qui régnaient entre les cardinaux Ascanio Sforza et Giuliano de Saint-Pierre-aux-Liens (1), mais bien davantage - exemple sans précédent pour l’époque - parce qu’il acheta ouvertement, partie avec de l’argent et partie en promettant certains de ces offices et bénéfices, qui étaient considérables, les voix de nombreux cardinaux qui, au mépris de l’enseignement évangélique, vendirent sans vergogne la possibilité de faire commerce des trésors sacrés au nom de l’autorité divine, dans la partie la plus sainte du temple. Ce fut le cardinal Ascanio qui incita nombre d’entre eux à un marché si abominable, moins par la persuasion et les prières que par l’exemple ; en effet, corrompu par l’appétit infini des richesses, il obtint pour lui-même, comme prix de tant de scélératesse, la vice-chancellerie - principale charge de la cour de Rome - des églises, des châteaux, et, à Rome, le palais de la Chancellerie, rempli de meubles d’une très grande valeur. Mais il n’échappa pour autant, ni, par la suite, au jugement divin, ni, alors, à l’infamie et à la juste haine des hommes, pleins d’effroi et d’horreur devant cette élection, parce qu’elle procédait de manoeuvres si détestables, et aussi parce que la nature et les habitudes de la personne élue étaient, pour bonne part, connues de beaucoup ; il est notoire que le roi de Naples (2), entre autres, tout en dissimulant en public sa douleur, fit savoir à la reine, son épouse - en versant des larmes qu’il avait coutume de retenir même pour la mort d’un de ses enfants -, qu’on avait élu un pape qui serait très malfaisant pour l’Italie et toute la chrétienté : prédiction, au vrai, loin d’être indigne de la prudence de Ferdinand. Car Alexandre VI (ainsi voulut être nommé le nouveau pape) était un homme d’une subtilité et d’une sagacité singulières, d’excellent conseil, d’une force de persuasion étonnante, d’une diligence et d’une habileté incroyables dans toutes les affaires graves ; mais ces vertus étaient dépassées, et de loin, par les vices : moeurs très obscènes, nulle sincérité, nulle vergogne, nulle vérité, nulle foi, nulle religion, avarice insatiable, ambition immodérée, cruauté plus que barbare et désir très ardent de grandir, par tous les moyens, ses enfants, qui étaient nombreux ; et, parmi eux (afin que pour exécuter les mauvais conseils on ne manquât pas de mauvais instruments) d’aucuns n’étaient pas, par certains côtés, moins détestables que leur père (...). Chez le pape, sur le courroux et sur tout autre sentiment, prévalait la convoitise effrénée de grandir ses enfants au point d’être, parmi tous ces papes qui pour voiler un peu leur infamie les appelaient d’ordinaire leurs neveux, le premier à les appeler ses enfants et à les présenter à la face du monde comme tels.
1497. - Mais il ne put échapper aux malheurs domestiques, car sa maison fut affligée par des accidents tragiques, fruits d’une luxure et d’une cruauté qui auraient suscité l’horreur même dans une contrée barbare. Il avait en effet, dès le début de son pontificat, eu pour dessein de transférer tout son pouvoir temporel à son aîné, le duc de Gandia (3) ; mais le cardinal de Valence (4) - qui, étranger par nature à la profession sacerdotale, aspirait au métier des armes et ne pouvait tolérer que celui-ci fût réservé à son frère, ni supporter que ce dernier fût davantage dans les bonnes grâces de dame Lucrèce, leur soeur à tous deux - , poussé par la luxure et l’ambition (ministres puissants de toute grande scélératesse), le fit, en secret, tuer puis jeter dans le Tibre, une nuit que le duc chevauchait seul dans Rome. Le bruit courait également (si tant est qu’une telle énormité soit digne de foi) que non seulement les deux frères mais le père lui-même se partageaient l’amour de dame Lucrèce : dès qu’on le fit pape, il enleva sa fille à son premier mari (5), trop inférieur à leur nouvelle condition, et la maria à Giovanni Sforza, seigneur de Pesaro mais, ne supportant pas d’avoir aussi le mari pour rival, il fit dissoudre ce mariage déjà consommé après avoir, devant des juges délégués par lui, fait prouver par de faux témoignages puis confirmer par une sentence que Giovanni était pas nature impuissant et inapte au coït (6). La mort du duc de Gandia affligea démesurément le pape, brûlant d’un amour qu’aucun père n’avait jamais ressenti pour ses enfants et peu habitué à éprouver les coups de la fortune, car depuis son enfance jusqu’alors il était clair qu’il n’avait connu, en toutes choses, que de très heureux succès ; il fut tellement ému qu’au consistoire, après s’être amèrement lamenté sur son malheur, sans retenir son émotion et ses larmes, et avoir condamné beaucoup de ses propres actions et la façon dont il avait vécu jusqu’à ce jour, il affirma avec une grande conviction qu’il entendait à l’avenir, se gouverner suivant d’autres pensées et d’autres moeurs ; et il chargea certains cardinaux de réformer avec lui les moeurs et les règles de la curie. Il s’y employa pendant quelques jours, mais, comme on commençait à voir qui était l’auteur de la mort de son fils, dont on pensait au début qu’elle pouvait être l’oeuvre du cardinal Ascanio ou des Orsini, il renonça d’abord à ses bonnes intentions puis à ses larmes et s’en retourna, avec moins de freins que jamais, aux pensées et aux agissements dans lesquels il avait consumé sa vie jusqu’à ce jour (...).
1503. – Mais voilà qu’au comble de leurs plus grandes espérances (tant sont vaines et trompeuses les pensées des hommes) le pape, alors qu’il était allé dîné dans une vigne (7) proche du Vatican pour échapper aux grandes chaleurs, est soudainement transporté au palais pontifical et donné pour mort, et qu’aussitôt après on amène et on donne pour mort son fils. Le lendemain, dix-huitième jour d’août, son cadavre est transporté selon l’usage, dans l’église Saint-Pierre, noir, enflé et affreux, indices manifestes du poison ; mais le Valentinois, grâce à la vigueur de son âge et aux remèdes puissants et efficaces contre le poison qu’il avait aussitôt absorbés, eut la vie sauve, mais resta accablé par une longue et grave maladie. On a toujours cru que l’origine de cet événement était le poison ; et selon la version la plus commune, on raconte ainsi le déroulement de l’affaire : le Valentinois, qui devait se rendre au même repas, avait décidé d’empoisonner Adriano, cardinal de Corneto, dans la vigne duquel ils devaient dîner (car il est chose notoire que c’était une habitude fréquente pour son père et lui-même d’employer du poison, non seulement pour se venger de leurs ennemis ou pour s’assurer de ceux qui leur étaient suspects, mais même pour satisfaire leur ambition scélérate de dépouiller de leurs biens les personnes riches, cardinaux et autres courtisans (...)) ; on raconte donc que le Valentinois avait envoyé à l’avance certains fiasques de vin empoisonné et les avait fait remettre à un domestique qui n’était pas au fait de la chose, avec consigne de ne les donner à personne ; mais le pape survint par hasard à l’heure du dîner, et, accablé par la soif et les chaleurs excessives, demanda qu’on lui donnât à boire : comme les provisions pour dîner n’étaient pas encore arrivées du palais, ce domestique, qui croyait qu’on le réservait parce que c’était un vin de très grand prix, lui donna à boire ce vin qu’avait envoyé par avance le Valentinois ; celui-ci, arrivant alors que le pape buvait, se mit aussi à boire du même vin.
Tout Rome afflua à Saint-Pierre avec une incroyable allégresse devant le cadavre d’Alexandre VI, personne ne pouvant assez se repaître de voir que s’était éteint ce serpent qui, par son ambition immodérée et sa funeste perfidie, et par tous les exemples d’une horrible cruauté, d’une monstrueuse luxure et d’une cupidité inouïe (ne vendait-il pas sans distinction les choses sacrées et les profanes ?) avait infecté de poison le monde entier ; et néanmoins, il s’était élevé avec une très rare et presque constante prospérité, depuis sa première jeunesse jusqu’au dernier jour de sa vie, désirant toujours de très grandes choses et obtenant plus qu’il ne désirait. »
Francesco GUICCIARDINI, Histoire d’Italie, 1492 - 1534, Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1996, t. I, p. 8 – 9, 16 ; p. 249 – 250 ; p. 426 – 427.
Notes :1) Ascanio Sforza était le frère de Ludovic Sforza, maître puis duc (1494 - 1500) de Milan ; Giuliano della Rovere, cardinal de Saint-Pierre-aux-Liens, était le neveu du pape Sixte IV ; il fut pape de 1503 à 1513 sous le nom de Jules II.
2) Ferdinand Ier d’Aragon (1423 - 1494), roi de Naples à partir de 1458.
3) Pedro Luis Borgia (v. 1467 - 1488), fait duc de Gandia (Espagne) par le roi Ferdinand II le Catholique.
4) César Borgia (v. 1475 - 1507), fait cardinal de Valence en 1493, puis, après avoir abandonné cette dignité, duc de Valentinois.
5) Lucrèce Borgia (1480 - 1519) fut mariée trois fois, au gré des projets politiques de son père et de son frère.
6) L’impuissance du mari était une cause valable d’annulation du mariage chrétien par les cours ecclésiastiques.
7) Ce terme désigne une propriété de campagne.
Un pape guerrier : Jules II (1503 - 1513)
« 1503. - Une fois dissipée, au cours de ces événements, la matière des scandales, les tumultes dans Rome se dissipèrent de même, de sorte que l’on commença à procéder dans le calme à l’élection du nouveau pape, car Pie III, ne décevant pas les espoirs conçus par les cardinaux lors de sa désignation, était, vingt-six jours après, passé à une vie meilleure (1). Après sa mort, comme le collège des cardinaux avait différé de quelques jours l’entrée au conclave, parce qu’il voulait que sortissent d’abord de Rome les Orsini qui y étaient restés pour compléter leurs troupes, l’élection fut décidée hors du conclave ; en effet, le cardinal de Saint-Pierre-aux-Liens, fort de ses amis, de sa réputation et de ses richesses, avait attiré sur son nom les voix de cardinaux si nombreux que n’osèrent pas s’y opposer ceux qui étaient d’avis contraire, et qu’entrant au conclave il était déjà sûr et certain d’être pape. Ainsi (événement dont la mémoire des hommes ne connaissait aucun exemple), sans même que l’on fermât le conclave, cette nuit-là, qui était la dernière nuit d’octobre, il fut élevé au pontificat. Que ce fût à cause de son premier prénom - Giuliano - ou, comme le voulut la rumeur, pour signifier la grandeur de ses desseins, ou pour ne pas le céder, jusque dans l’excellence du nom, à Alexandre VI, il prit le nom de Jules, deuxième du nom parmi tous les papes passés.
Grande fut certainement la stupéfaction universelle de voir que le pontificat avait été attribué, dans un telle union des coeurs, à un cardinal dont chacun connaissait le naturel difficile et redoutable, et qui, d’esprit inquiet depuis toujours et ayant consumé son âge en de continuels travaux, avait nécessairement offensé beaucoup de gens et entretenu des haines et des inimitiés avec nombre de grands personnages. Mais, par ailleurs, les raisons pour lesquelles toutes les difficultés avaient été surmontées pour l’élever à un tel rang apparurent clairement. En effet, comme il avait été longtemps un cardinal très puissant, qu’il avait toujours surpassé tous les autres en magnificence et qu’il était d’un rare courage, non seulement il avait de nombreux amis, mais depuis longtemps beaucoup d’autorité à la curie, et il avait le renom de principal défenseur de la dignité et de la liberté de l’Église. Mais plus encore, il fut élevé au pontificat en promettant sans modération ni limite à des cardinaux, à des princes, à des barons et à quiconque pouvait lui être utile dans cette affaire tout ce qu’ils purent demander. Et il eut en outre la faculté de distribuer de l’argent et de nombreux bénéfices et dignités ecclésiastiques - car sa réputation de libéralité faisait que beaucoup accourraient spontanément pour lui offrir d’utiliser à sa guise leur argent, leur nom, leurs offices et leurs bénéfices ; et personne ne considéra que ses promesses dépassaient beaucoup ce qu’ensuite, une fois pape, il pourrait ou voudrait tenir, car il avait longtemps eu un tel renom d’homme entier et sincère qu’Alexandre VI, son ennemi juré, qui le vitupérait pour toutes les autres choses, reconnaissait qu’il était un homme franc ; sachant que nul ne trompe facilement les autres que celui qui a l’habitude et la réputation de ne jamais les tromper, ce fut un éloge qu’il se soucia peu d’entacher, pour obtenir le pontificat.
1511. - (...) Mais au début de l’année nouvelle se produisit une chose inattendue, digne de rester dans les mémoires et jamais vue dans tous les siècles passés. En effet, comme il semblait au pape que le siège de La Mirandola traînait en longueur et qu’il l’attribuait en partie à l’impéritie des capitaines et en partie à leur déloyauté (...), il décida de hâter les choses par sa présence ; il faisait passer son impétuosité et l’ardeur de sa nature avant toute autre considération et n’était pas davantage retenu par la majesté de sa charge qui rendait si indigne qu’un pontife romain allât en personne aux armées pour attaquer des villes tenues par des chrétiens, ni par le grand danger qu’il y avait - en méprisant l’opinion unanime et le jugement que tous porteraient sur lui - à fournir un prétexte, et presque une justification à ceux qui, faisant montre, avant tout, d’estimer que son gouvernement était pernicieux à l’Église et ses défauts scandaleux et incorrigibles, oeuvraient pour convoquer le concile et dresser les princes contre lui. Ces propos retentissaient dans toute la curie (...). Mais les prières de tous étaient vaines et vains les arguments. Il partit de Bologne le deuxième jour de janvier, accompagné par trois cardinaux ; arrivé au camp, il logea dans la petite maison d’un paysan, exposé au feu de l’artillerie ennemie, car elle n’était pas à plus de deux arbalétrées des remparts de La Mirandola. Là, prenant de la peine et mettant à l’épreuve son corps aussi bien que son esprit et son autorité, il était sans cesse à cheval et parcourait le camp en tous sens, pressant ses soldats de finir d’installer l’artillerie, dont une seule partie avait été, à ce jour, mise en batterie, car presque toutes les actions militaires étaient gênées par le temps très âpre, par la neige qui ne cessait de tomber, et parce qu’aucune diligence ne suffisait à empêcher les sapeurs de s’enfuir, puisqu’ils subissaient, outre les rigueurs du temps, les nombreuses salves d’artillerie des assiégés. (...) C’était certainement chose remarquable et très nouvelle aux yeux des hommes que de voir le roi de France, prince séculier, encore jeune, et d’une constitution alors très robuste, élevé depuis son plus jeune âge dans le métier des armes, se reposer en ses appartement et laisser à ses capitaines le soin de conduire une guerre qui était, avant tout, dirigée contre lui. Tandis qu’en face, on pouvait voir le souverain pontife, vicaire du Christ sur la terre, vieux, malade, élevé au milieu des plaisirs et des commodités, se rendre à cette guerre contre des chrétiens, qu’il avait lui-même provoquée, et mener lui-même le siège d’une ville obscure ; là, s’exposant, tel le capitaine d’une armée, aux peines et aux dangers, il ne gardait que l’habit et le nom de pape.
1513. - (...) Conservant en toute chose sa constance et sa sévérité coutumières, gardant le même jugement et la même force d’âme qui étaient les siens avant sa maladie, il reçut dévotement les derniers sacrements et, la nuit qui précédait le 21 février, alors que le jour allait poindre, le cours de ses travaux sur cette terre s’acheva. Ce fut un prince d’un rare courage et d’une constance inestimables, mais son impétuosité et ses projets étaient démesurés et, de ce fait, ce furent la révérence dont jouit l’Église, la discorde entre les princes et la condition des temps plutôt que sa modération et sa prudence qui l’empêchèrent de choir. Certes, il eût été digne de la plus grande gloire s’il s’était agi d’un prince séculier ou s’il avait eu, pour exalter, par l’art de la paix, la grandeur de l’Église dans les choses spirituelles, le même soin et la même application que pour l’exalter, par l’art de la guerre, dans les choses temporelles. Néanmoins, plus que pour tous ses prédécesseurs, sa mémoire reste très illustre et honorée, surtout auprès de ceux qui, en un temps où sont perdus les vrais noms des choses et où sont confondues la façon de les peser droitement, estiment que le devoir des papes est d’agrandir, par les armes et le sang chrétien, le domaine du Siège apostolique plutôt que de peiner, par l’exemple d’une bonne vie ou en corrigeant et soignant la corruption des moeurs, pour le salut des âmes, au service duquel il se font gloire que le Christ les ait fait ses vicaires sur la terre ».
Francesco GUICCIARDINI, Histoire d’Italie, 1492 - 1534, Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1996, t. I, p. 435 – 436 ; p. 687 – 688 ; p. 852.1) Le 18 octobre 1503.
Léon X : une occasion manquée de réformer l’Église (1513 – 1521)
« 1513. - (...) Quand les funérailles se furent déroulées selon l’usage, vingt-quatre cardinaux entrèrent tranquillement en conclave (...). Le premier soin du conclave fut de modérer par des règles très strictes l’autorité du futur pape, car ils disaient que le pape défunt l’avait exercée immodérément ; pourtant, peu après (car certains hommes n’ont pas la hardiesse de s’opposer au prince et d’autres désirent gagner sa bienveillance), elles furent presque toutes annulées, par ces mêmes cardinaux. Le septième jour, ils élurent pape, sans la moindre discordance, Jean, cardinal de Médicis, qui prit le nom de Léon X ; il était âgé de trente-sept ans, ce qui ne laissa pas d’étonner, eu égard aux habitudes du passé : la principale raison de cette élection fut l’industrie des jeunes cardinaux qui, bien longtemps auparavant, s’étaient entendus entre eux pour faire pape, pour la première fois, l’un d’entre eux. Presque toute la chrétienté se réjouit fort de cette élection : on était universellement convaincu que ce serait un très excellent pape, car le souvenir de la valeur de son père était dans toutes les mémoires et partout on vantait sa renommée de bénignité et de libéralité ; on le tenait pour un homme chaste et de moeurs très intègre et on espérait qu’à l’exemple de son père il aimerait les lettrés et les esprits illustres ; cet espoir était d’autant plus grand que son élection s’était déroulée avec probité, sans qu’on eût recours à la simonie, sans qu’on soupçonnât la moindre tache (...).
Le premier acte du nouveau pontificat fut le couronnement, qui eut lieu selon l’usage de ses prédécesseurs dans l’Église Saint-Jean de Latran, sa maison et sa cour aussi bien que tous les prélats et de nombreux seigneurs qui étaient accourus déployant une si grande pompe que chacun convint que, depuis le déferlement des barbares, Rome n’avait jamais connu de jour plus magnifique et superbe que celui-ci. Au cours de cette solennité, ce fut Alphonse d’Este qui porta le gonfalon de l’Église ; il avait obtenu la suspension des censures et s’était rendu à Rome avec des fermes espoirs d’accommoder ses affaires grâce à la mansuétude du pape (1). Ce fut Jules de Médicis qui porta celui de l’ordre de Rhodes (2) : monté sur un destrier, il était armé de pied en cap ; sa volonté le poussait vers le métier des armes, mais le destin l’attirait vers la vie sacerdotale, où il allait être un exemple étonnant de la variété de la fortune. Et ce jour était encore plus mémorable et saisissant si l’on considérait que celui qui recevait maintenant, avec une telle pompe, une telle splendeur, les insignes d’une telle dignité avait été à la même date, l’année précédente, fait misérablement prisonnier (3). Cette magnificence renforça les espoirs que le vulgaire fondait sur lui : chacun prévoyait que Rome serait heureuse sous un pape d’une telle libéralité et d’une telle splendeur, car on était certain qu’il avait dépensé plus de cent mille ducats dans cette cérémonie ; mais les hommes prudents eussent désiré plus de gravité et de modération, estimant qu’une telle pompe ne convenait pas aux papes et qu’il n’était pas conforme à la condition des temps présents de dissiper inutilement l’argent accumulé par son prédécesseur.
1517. – L’âpreté de cette affaire (4) contraignit le pape à songer à la création de nouveaux cardinaux, car il savait bien qu’il s’était aliéné presque tout le collège par les supplices infligés et pour d’autres raisons : agissant sans modération aucune, il nomma en une seule matinée trente et un cardinaux en consistoire, le collège y consentant par crainte et non de sa propre volonté. L’importance de ce nombre lui donna la possibilité d’atteindre des buts multiples et de choisir des hommes de toute qualité.
En effet, il promut deux enfants de ses soeurs et certains de ceux qui avaient été à son service depuis qu’il était pape ou avant qu’il ne le fût et que lui-même et le cardinal de Médicis appréciaient, mais qui n’avaient aucun titre pour prétendre accéder à une telle dignité ; dans de nombreux cas, il donna satisfaction à des grands princes en créant les cardinaux sur leurs instances ; il en désigna beaucoup pour l’argent, car il se trouvait fort dépourvu et dans le plus grand besoin. Parmi ces nouveaux cardinaux, quelques-uns étaient illustres pour la renommée de leur science et il y avait trois généraux (grade suprême chez ces religieux) des ordres de saint Augustin, saint Dominique et saint François ; en outre, fait très rare en une même promotion de cardinaux, deux d’entre eux étaient de la famille des Trivulzio : le pape avait choisi l’un parce que c’était son camérier et par désir de donner satisfaction à Gianiacopo, et l’autre à cause de sa réputation de savant - secourue par quelque somme d’argent. Mais ce qui a suscité le plus d’étonnement, ce fut la nomination de Franciotto Orsini, de Pompeo Colonna et de cinq autres Romains des plus grandes familles qui appartenaient à l’une ou l’autre faction ; décision contraire aux choix de son prédécesseurs, elle fut considérée comme imprudente et eut une issue bien peu heureuse pour les siens. En effet, la grandeur des barons de Rome signifiant toujours l’abaissement et le tourment des papes, Jules, lorsque étaient morts les anciens cardinaux de ces familles qu’Alexandre VI avait persécutées pour les dépouiller de leurs domaines, n’avait jamais voulu redonner à aucune d’entre elles cette dignité. Or, Léon fit le contraire sans aucune modération, d’autant qu’on ne pouvait pas dire qu’il y eût été poussé par leurs mérites, puisque Franciotto fut promu à la dignité cardinalice alors qu’il professait l’art militaire et puisque aurait du nuire à Pompeo le souvenir où, à l’occasion de la maladie [de Jules] et bien qu’il fût évêque, il avait tenté de soulever le peuple romain contre la seigneurie des prêtres avant de se rebeller ouvertement contre ce même pape les armes à la main, ce pourquoi Jules l’avait privé de la dignité épiscopale.
1521. – La guerre en était là, et le pape et César (5) nourrissaient de grands espoirs de consolider leur victoire (...). Mais d’un accident inopiné naquirent tout à coup des pensées inopinées : le 1er décembre, le pape Léon mourut subitement. Alors qu’il se trouvait dans sa villa de la Magliana (6), où il se retirait souvent pour se reposer, il avait reçu la nouvelle de la prise de Milan et en avait conçu un immense plaisir ; la nuit, il avait été pris d’une légère fièvre, et s’était fait transporter le lendemain à Rome, où, bien que les médecins trouvassent bénin le début de sa maladie, il mourut en quelques jours. On soupçonna fortement un empoisonnement, provoqué, pensa-t-on, par Bernabo Malespina, son camérier, qui était chargé de lui donner à boire. Bien que ce dernier eût été emprisonné sur ce soupçon, l’affaire n’alla pas plus loin parce que le cardinal de Médicis le fit libérer dès son arrivée à Rome pour ne pas créer de motif de brouille supplémentaire avec le roi de France, car la rumeur courait, dont la source et les fondements étaient incertains, que c’était sur son ordre que Bernabo avait versé le poison. S’il faut en croire l’opinion générale, Léon mourut au faîte de la gloire et de la félicité, non seulement parce que la victoire de Milan l’avait délivré de dangers et de dépenses considérables (...) mais encore parce qu’il avait appris quelques jours avant sa mort la prise de Plaisance, et, le jour même où il mourut, celle de Parme (...). C’était un prince chez qui il y avait beaucoup à louer et beaucoup à blâmer, et qui trompa grandement les espoirs mis en lui quand il fut élevé au pontificat, parce qu’il montra plus de prudence mais beaucoup moins de bonté que tous ne l’avaient estimé. »
Francesco GUICCIARDINI, Histoire d’Italie, 1492 - 1534, Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1996, t. I, p. 852 – 854 ; t. II, p. 120 – 121 ; p. 200.
Notes :
1) Alphonse d’Este (1476 – 1534), duc de Ferrare depuis 1505, allié de la France, avait subi les attaques militaires de Jules II, qui l’avait également excommunié. Il espérait que le nouveau pape accepterait de conclure la paix.
2) L’ordre des hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, ordre militaire fondé au XIIe siècle lors des croisades. Chassés de Terre sainte puis de Chypre, les Hospitaliers s’étaient installée à Rhodes en 1309 ; après la prise de l’île par les Turcs en 1522, ils se replièrent sur Malte.
3) Le cardinal de Médicis avait été fait prisonnier par les Français à la bataille de Ravenne.
4) Le pape avait récemment découvert un complot visant à l’empoisonner ; le principal coupable, le cardinal Alfonso Petrucci, fut étranglé dans sa prison, et ses deux complices écartelés.
5) Titre donné à l’empereur du Saint-Empire romain germanique, ici Charles Quint.
6) Sur le Tibre, à dix kilomètres au sud-ouest de Rome.
Reforma in capite : décret du 5e concile de Latran sur la réforme de la Curie (1514)
Session IX, 5 mai 1514
Léon X : Bulle de réforme de la curie.
"Des Cardinaux
Puisque les cardinaux de la sainte Église romaine l’emportent sur tous les autres en honneur et en dignité dans l’Église elle-même après le souverain pontife, il convient et il est nécessaire qu’ils brillent plus que tous les autres par la pureté de leur vie et par la splendeur de leurs vertus. Pour cette raison, non seulement Nous les exhortons et Nous les avertissons, mais encore Nous décidons et ordonnons que désormais tous les cardinaux existant présentement, conformément à l’enseignement de l’Apôtre, vivent si sobrement, si chastement et si pieusement [Tite, 2, 12], qu’ils évitent non seulement le mal, mais même toute apparence de mal, et qu’ils brillent ainsi au regard des hommes.
En premier lieu, que chacun rende honneur à Dieu par ses oeuvres. Qu’ils soient tous éveillés et attentifs pendant les offices divins et lors de la célébration de la messe ; qu’ils aient leurs chapelles dans un endroit honnête, comme ils ont l’habitude de le faire. Que leurs maison, leur famille, leur table, leur habillement ne soient répréhensibles ni par le faste, ni par la pompe, ni par le superflu, ni de quelque autre façon, évitant ainsi l’incitation au péché et au dépassement de la mesure ; comme il convient plutôt, qu’ils méritent d’être considérés comme un miroir de modestie et de frugalité. Qu’ils se contentent donc de ce qui exprime la modestie sacerdotale ; qu’ils traitent avec douceur et honneur, tant en public qu’en privé, les prélats et tous les autres dignitaires qui viennent à la curie romaine, et reçoivent pieusement et libéralement les causes de ceux qui se recommandent à Nous et à nos successeurs. (...)
Et, dans l’assistance qu’ils apportent au pontife romain, père commun de tous les fidèles du Christ, il ne convient pas du tout qu’ils fassent acception de personnes ou qu’ils se fassent les avocats de celles-ci. Pour cette raison, Nous décidons que, pour éviter qu’ils ne cèdent à la partialité ils ne se feront contre qui que ce soit les promoteurs ou défenseurs de princes, de communes ou de quelqu’un d’autre, si ce n’est dans la mesure où la justice et l’équité le requièrent, ou l’exigent leur dignité et leur condition ; qu’ils s’adonnent plutôt et qu’ils s’appliquent, en mettant de côté toute passion personnelle, à apaiser et à régler en toute diligence les conflits entre toutes les parties. Qu’ils s’occupent avec piété des justes causes des princes et de tous les autres, en particulier des pauvres et des religieux, et qu’ils viennent en aide, selon leur capacité et les exigences de leur fonction, aux opprimés et à ceux qui sont injustement écrasés.
Qu’ils visitent au moins une fois par an les lieux qui relèvent de leur titre, en personne s’ils sont à la curie, par un vicaire compétent s’ils sont absents. Qu’ils s’enquièrent avec soin des clercs et des populations des églises qui relèvent de leur titre, veillent au culte divin et aux biens desdites églises, examinent avec attention et avant tout les moeurs et la vie des clercs et des paroissiens et les avertissent tous et chacun, avec un sentiment paternel, de vivre avec droiture et honnêteté. (...)
Il n’est pas décent de négliger les parents par affinité ou par le sang, surtout ceux qui le méritent et qui ont besoin de secours ; au contraire, il est juste et louable de les nantir. Pour autant, cependant, Nous n’estimons pas convenable de les combler à ce point d’une multitude de bénéfices ou des revenus ecclésiastiques que d’autres souffrent de cette largesse immodérée et que de là naisse le scandale. Nous statuons donc que les cardinaux ne doivent pas distribuer avec témérité des biens des églises, mais les affecter à des oeuvres saintes et pieuses. (...)
En ce qui concerne les églises, même cathédrales, abbatiales ou celles de prieurés, ou encore tout autre bénéfice ecclésiastique, données en commande à ces mêmes cardinaux, Nous voulons aussi que pour assurer le service des cathédrales, ils leur fournissent sans aucune excuse et mettent tous leurs efforts à leur donner des vicaires dignes ou capables ou des suffragants, selon la coutume, en y joignant un traitement adéquat et convenable. Pour les autre églises ou monastères qu’ils ont en commende, qu’ils pourvoient à un nombre juste de clercs et de chapelains, de religieux ou de moines qui servent Dieu de façon adéquate et louable. Qu’ils préservent aussi dans un état convenable tous les édifices, biens et droits, et qu’ils restaurent ceux qui sont en mauvais état, comme c’est la fonction des bons prélats et commendataires.
Nous statuons aussi que, pour ce qui est du nombre des serviteurs et des chevaux qui sont à leurs frais, lesdits cardinaux usent de circonspection attentive, de sorte que le fait d’en avoir un nombre plus grand que ce que permettent leurs moyens, leur condition et leur dignité ne puisse leur faire une réputation de prodigalité. D’autre part, qu’ils ne soient pas réputés avares ni sordides du fait que, avec des revenus larges et abondants, ils fournissent le vivre à un très petit nombre, alors que la maison des cardinaux doit être ouvertement l’asile, le port et le refuge surtout des hommes vertueux et savants, des nobles pauvres et des personnes honnêtes. Qu’ils soient donc prudents au sujet du comportement et du nombre des serviteurs qu’ils maintiennent, et avant tout circonspects au sujet de leur qualité, de sorte que les vices des autres ne leur fassent pas une mauvaise réputation et de créent des occasions justifiées de déblatérer et de calomnier. (...) Que chacun d’eux veille donc à ce que les prêtres et les lévites portent des vêtement ecclésiastiques convenables, de sorte qu’un membre de sa maison pourvu d’un bénéfice à un titre quelconque et ayant reçu les saints ordres, ne porte pas de vêtement bariolés et ne fasse pas usage d’un habit qui convient peu à l’ordre ecclésiastique. (...)
Et puisqu’il appartient aux cardinaux de s’appliquer principalement aux grandes entreprises, ceux-ci s’efforceront, autant qu’ils le peuvent, d’identifier les régions qui sont atteintes par les hérésies, les erreurs et les superstitions contre la foi vraie et orthodoxe, et où l’enseignement par l’Église des commandements divins est déficient, d’identifier aussi les rois, les princes et les populations qui sont infestées ou qu’ils craignent de voir infester par des guerres. Ils mettront leur soin à les connaître et à Nous rapporter, ainsi qu’au pontife en exercice, les choses de cette sorte, afin que par un effort vigilant, des remèdes appropriés et salutaires puissent être trouvés à ces maux et à ces maladies. (...)
Puisque la fonction de cardinal concerne principalement l’assistance fréquente apportée au pontife romain et aux affaires du Siège apostolique, Nous statuons que, pour cette raison, tous les cardinaux doivent résider à la curie romaine ; ceux qui sont absents y reviendront dans les six mois à compter du jour de la publication de la présente constitution s’ils sont en Italie, ou dans l’année s’ils se trouvent hors d’Italie. Autrement, ils perdront les fruits de leurs bénéfices et les émoluments de tous leurs offices (...), sauf dans le cas de ceux qui pourraient être absent en raison d’une charge imposée par le Siège apostolique, par mandat ou permission du pontife romain, en raison d’une crainte justifiée, d’un empêchement légitime ou de la maladie. (...)
De plus, Nous statuons que les dépenses funéraires des cardinaux ne doivent pas dépasser la somme de mille cinq cents florins tout compté, à moins que la prudence des exécuteurs, sur l’allégation de causes et de raisons justes, ne conduise à dépenser davantage. Les obsèques et la fin du deuil sont fixées au premier et au neuvième jour ; des messes seront célébrées durant l’octave, comme à l’accoutumée.
En raison de la révérence due au Siège apostolique, pour l’utilité et l’honneur communs du pontife et des cardinaux eux-mêmes, afin d’éviter l’occasion de scandales qui pourraient surgir, en vue d’assurer une plus grande liberté des votes du saint sénat et, comme il convient, pour permettre à chaque cardinal d’exprimer librement et impunément, selon Dieu et sa conscience, tout ce qu’il pense, Nous décidons que, sous peine de parjure ou de désobéissance, aucun cardinal ne devra révéler oralement, par écrit ou de quelque façon le vote qu’il aura donné en consistoire, ni rien de ce qui s’y est dit ou fait qui pourrait entraîner haine, préjudice ou scandale à l’endroit de quelqu’un. (...) Si quelqu’un agit à l’encontre de cette décision, en plus des peines mentionnées, il encourra une sentence d’excommunication déjà portée, dont il ne pourra être absous que par Nous-même ou par ledit pontife romain et pour une cause expresse, si ce n’est à l’article de la mort."
« Concile de Latran V (1512 – 1517) », dans : Les Conciles Œcuméniques. Les décrets. t. II-1. Paris, Editions du Cerf, 1994, p. 1261 – 1269.
Un pape « barbare » : Adrien VI (1522 – 1523)
"1522. - A cette époque, l'élection du nouveau pape n'était pas encore faite, à cause du retard qu'entraînait la discorde entre les cardinaux, due essentiellement au fait que le cardinal de Médicis, qui aspirait au pontificat, et que rendaient puissant sa réputation de grandeur, ses revenus, et la gloire acquise lors de la prise de Milan, avait rassemblé sur son nom les suffrages de quinze autres cardinaux, animés par des intérêts particuliers, par l'amitié qu'ils avaient pour lui, ou par le souvenir des bienfaits de Léon, et, pour quelques-uns, par l'espoir de le voir prendre le parti de ceux qui auraient été prompts à le soutenir s'il venait lui-même à désespérer de devenir pape. Mais cette ambition rencontrait pourtant beaucoup d'obstacles : de nombreuses personnes pensaient qu'il n'était pas bon de laisser succéder au pape défunt un pape de la même famille, ce qui constituerait un premier exemple de pontificat obtenu par voie de succession ; il avait contre lui les cardinaux plus âgés, qui prétendaient eux-mêmes à cette charge, qui ne pouvaient supporter que fût élu un homme qui n'avait pas cinquante ans, tous les cardinaux qui suivaient le parti français, et même quelques-uns du parti impérial (...) ; quant aux cardinaux qui n'avaient pas été contents de Léon, ils étaient ses ennemis acharnés (...). Un matin, alors que, selon l'usage, se déroulait un vote, on prononça au conclave le nom d'Adrien, cardinal de Tortosa ; celui-ci, un Flamand qui avait été le précepteur de César (1) lorsque ce dernier était enfant, et qui grâce à lui avait été élevé au cardinalat, représentait l'autorité de César en Espagne. La proposition avait été faite pour que la matinée s'écoulât en vain, sans que personne ne fût enclin à l'élire, mais, comme quelques voix se découvrirent en faveur d'Adrien le cardinal de San Sisto (2) ne cessa pratiquement plus de haranguer l'assemblée en faisant l'éloge de ses vertus et de son savoir : quelques cardinaux commencèrent à céder, les autres lui suivirent peu à peu, plus par un élan soudain que par choix délibéré, si bien qu'il fût élu le matin même à l'unanimité, sans que ceux-là mêmes qui l'avaient élu sussent clairement dire pourquoi, au moment où l'Église traversait tant de difficultés et de dangers, ils élisaient un pape barbare, qui résidait si loin de Rome, qui ne devait son crédit ni à ses mérites antérieurs, ni à la fréquentation des autres cardinaux, lesquels connaissaient à peine son nom, qui n'avait jamais vu l'Italie, et qui ne songeait ni n'espérait un jour la voir. Cette extravagance, qu'aucun argument ne pouvait excuser, ils l'imputaient au Saint-Esprit qui, disaient-ils, inspire d'ordinaire le coeur des cardinaux lors de l'élection des papes ; comme si le Saint-Esprit, qui aime par-dessus tout les coeurs purs et les âmes sans tache, ne répugnait point à entrer dans des âmes pleines d'ambition et d'inimaginable cupidité, sujettes presque toutes à l'amour de plaisirs fort raffinés, pour ne pas dire déshonnêtes. Adrien reçut la nouvelle de son élection à Vittoria, en Biscaye : lorsqu'il l'apprit, sans changer le nom qu'il portait, il se fit appeler Adrien VI.
En un tel état de choses, l'Italie, accablée de maux continuels, et effrayée par ceux, plus grands encore, qu'elle entrevoyait dans l'avenir, attendait avec impatience l'arrivée du pape, dont l'autorité pontificale servirait opportunément à calmer de nombreuses discordes et à remédier à de nombreux désordres. César (...) avait supplié le pape de l'attendre à Barcelone, où il voulait se rendre en personne afin de faire acte de soumission et d'adoration, mais Adrien refusa de l'attendre, soit parce qu'il craignît que César, alors encore à l'autre bout de l'Espagne, ne lui fît perdre trop de temps en l'amenant ainsi à voyager à la mauvaise saison (...) soit encore, comme le prétendirent de nombreuses personnes, qu'il ne voulût pas alimenter l'opinion, conçue à son sujet dès le début, selon laquelle il était trop acquis à l'Empereur, ce qui pouvait faire obstacle au dessein qu'il avait formé d'établir la paix universelle entre les chrétiens. Le pape se rendit par mer à Rome, où il entra le 29 août, accueilli par une foule très nombreuse et par toute sa cour. Bien que sa venue fût au plus au point désirée (car Rome, sans pape, ressemble plus à un désert qu'à une ville), son arrivée émut néanmoins grandement tous les esprits, car on savait le pape de nation barbare, sans aucune expérience des affaires d'Italie et de la cour pontificale, et même pas issu d'une de ces nations qu'on long commerce a familiarisées avec l'Italie. A ces tristes pensées vint s'ajouter le fait qu'à son arrivée, la peste se déclara à Rome - ce qui était interprété comme de fort mauvais augure pour son pontificat - et fit des ravages pendant tout l'automne (...). "
Francesco GUICCIARDINI, Histoire d'Italie, 1492 - 1534, Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1996, t. I, p. 852 – 854 ; t. II, p. 211 – 212.
1) Charles de Habsbourg, proclamé roi de Castille et d'Aragon en 1516, et élu empereur en 1519 sous le nom de Charles Quint. Tortosa est un diocèse situé dans la couronne d'Aragon.
2) Tommaso da Vio, dit le cardinal Cajetan, général des Dominicains, fait cardinal de San Sisto en1517. Il était très hostile à Luther, qu'il avait rencontré à Augsbourg en 1518.
La Bible à la portée de tous
"Je suis tout à fait opposé à l'avis de ceux qui ne veulent pas que la Bible soit traduite en langue commune pour être lue par les gens du peuple, comme si J'enseignement du Christ était si voilé que seule une poignée de théologiens pouvait le comprendre, ou comme si la religion chrétienne se fondait sur l'ignorance. Je voudrais que les plus humbles des femmes lisent les Évangiles, les épîtres de Paul. Puisse ce livre être traduit en toutes les langues de sorte que les Écossais, les Irlandais, mais aussi les Turcs et les Sarrasins soient en mesure de le lire et de le connaître. (...) Puisse le paysan au manche de sa charrue en chanter des passages, le tisserand à ses lisses * en moduler quelques airs, ou le voyageur alléger la fatigue de sa route avec ses récits. Puissent ceux-ci faire les conversations de tous les chrétiens. (...)
* Lisse métier à tisser.
in ÉRASME, Préface à la traduction du Nouveau Testament, 1516, Éditions Labor et Fides
idem plus complet (autre traduction)
La question de la traduction de l'Écriture en langue vulgaire
ERASME, Préfaces à l'édition du Nouveau Testament (1
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Par lutherien le 1 Décembre 2009 à 08:16
Luther, Martin (1483-1546)
Réformateur religieux allemand. Il a d'abord été reçu en tant que maître en philosophie de l'Université d'Erfurt, puis il entra chez les augustins en 1505. Il devint professeur à l'université de Wittenberg. En 1517, il afficha sur les portes du château de Wittenberg ses « 95 thèses » où il dénonçait la vente des indulgences et qui marquèrent le véritable début de la Réforme. Jamais il ne se rétracta. Bien au contraire, il publia en 1520 trois manifestes dans lesquels il affirme l'autorité de la seule Ecriture sainte. Il fut donc excommunié et mis au ban de l'empire par la diète de Worms en 1521. Protégé par Frédéric de Saxe, il entreprit la traduction en allemand de la Bible. Il se marie en 1525 avec Katharina von Bora. Dès cette époque, l'Eglise luthérienne commence à s'organiser et Luther s'occupa de régler le culte, la liturgie. Grand réformateur, Luther fut également l'un des premiers grands écrivains en langue allemande.
Son œuvre majeure fut la Confession d'Augsbourg, formulaire dans lequel il exposa la profession de foi des luthériens. Le texte fut présenté à Charles Quint à la diète d'Augsbourg en 1530 que l'empereur avait décidé de réunir afin de mettre un terme aux dissensions religieuses créées par la Réforme. Le texte fut rejeté par les théologiens catholiques allemands.
(résumé de Christophe Rime)
Luther, avant la révolte...
- Souvenir de l'Université d'Erfurt.
"Jusqu'à ma vingtième année je n'avais jamais vu de Bible. Je ne croyais pas qu'il y eût d'autres évangiles et d'autres épîtres [ = lettres des Apôtres] que ce que j'en avais lu dans les lectionnaires [ = recueil de résumés ou morceaux choisis]. Enfin je trouvai une Bible complète à la bibliothèque d'Erfurt; je la parcourus avec ardeur et avec le plus grand étonnement."
- Souvenir du couvent.
"Quand j'étais à Erfurt, la vie monacale me paraissait l'expression la plus élevée de la piété chrétienne. Dans l'église des Augustins je vis un tableau qui me frappa vivement. La sainte Eglise y était représentée sous la figure d'un vaisseau dans l'intérieur duquel il n'y avait nul profane, ni rois ni princes; on n'y voyait que le pape, les cardinaux et les évêques avec le Saint-Esprit; des deux côtés étaient rangés en ligne les prêtres et les moines, maniant les rames, naviguant ainsi vers le ciel. Quant aux laïcs, ils nageaient autour du vaisseau, s'y accrochant pour ne pas se noyer; quelques-uns se tenaient par le moyen de cordes que les révérends pères leur jetaient par grâce et par communication de leurs oeuvres, les préservant ainsi d'une mort certaine, pour les traîner après eux dans le ciel. Il n'y avait dans l'eau ni pape ni cardinal, ni évêque, ni prêtre, ni moine; rien que des laïcs."
(cité de Luther d'après Luther, fragments extraits de ses oeuvres par G. A. Hoff, Lausanne, 1887, pp. 201-202)
Luther et la crise de confiance en l'autorité catholique
« Avant la lumière de l'Evangile, j'ai été attaché avec zèle aux lois papistiques et aux traditions des Pères autant que n'importe qui et je les ai défendues avec grand sérieux comme saintes et nécessaires au salut. Avec tout le soin dont j'étais capable, je me suis efforcé de les observer par le jeûne, les veilles, les oraisons et autres exercices, en macérant mon corps plus que tout ceux qui aujourd'hui me haïssent si violemment et me persécutent, parce que je leur enlève la gloire de se justifier. »
Luther, Commentaire sur l'Epître aux Galates, 1531. Extrait publié dans Stauffer, La Réforme, Que sais-je ? PUF, 1970, pp. 11-12.
La crise spirituelle de Luther
" Cette année [en 1513], j'avais entrepris pour la seconde fois l'interprétation des psaumes, et je pensais y être mieux préparé, après avoir traité entre temps les Epîtres aux Romains, aux Galates et aux Hébreux dans mes cours. J'avais brûlé du désir de bien comprendre un terme employé dans l'Epître aux Romains au premier chapitre, là où il est dit : " La justice de Dieu est révélée dans l'Evangile "* ; car, jusqu'alors, j'y songeais en frémissant. Ce terme de "justice de Dieu", je le haïssais, car l'usage courant et l'emploi qu'en font habituellement tous les docteurs m'avaient enseigné à le comprendre au sens philosophique. J'entendais par là la justice "formelle" ou "active", une qualité divine qui pousse Dieu à punir les pécheurs et les coupables. Malgré ma vie irréprochable de moine, je me sentais pécheur aux yeux de Dieu ; ma conscience était extrémement inquiète et je n'avais aucune certitude que Dieu fût apaisé par mes satisfactions. Aussi je n'aimais pas ce Dieu juste et vengeur. Je le haïssais et, si je ne blasphémais pas en secret, certainement je m'indignais et murmurais violemment contre lui, disant : N'est-il pas suffisant qu'il nous condamne à la mort éternelle à cause du péché de nos pères et qu'il nous fasse subir toute la sévérité de sa loi ? Faut-il qu'il augmente encore nos tourments par l'Evangile et que, même là, il nous fasse annoncer sa justice et sa colère ?...
Enfin, Dieu me prit en pitié. Pendant que je méditais jour et nuit et que j'examinais l'enchaînement de ces mots : "La justice de Dieu est révélée dans l'Evangile" comme il est écrit : "le juste vivra par la foi", je commençais à comprendre que "la justice de Dieu" signifie la justice que Dieu donne et par laquelle le juste vit, s'il a la foi... Aussitôt, je me sentis renaître, et il me sembla être entré par des portes largement ouvertes au paradis même. Dès lors, l'Ecriture tout entière prit à mes yeux uns aspect nouveau. Je parcourus les textes comme ma mémoire me les présentait et notai d'autres termes qu'il fallait expliquer de façon analogue... la puissance de Dieu par laquelle il nous donne la force, la sagesse, par laquelle il nous rend sages, le salut, la gloire de Dieu. "
Luther, Autobiographie I, 15.
* "Car je n'ai point honte de l'Evangile : c'est une puissance de Dieu pour le salut de quiconque croit, du Juif premièrement, puis du Grec, parce qu'en lui est révélée la justice de Dieu par la foi et pour la foi, selon qu'il est écrit : Le juste vivra par la foi." (Ep. aux Romains, 1, 16-17.)
"...afin de gagner Christ et d'être trouvé en lui, non avec ma justice, celle qui vient de la loi, mais avec celle qui s'obtient par la foi en Christ, la justice qui vient de Dieu par la foi." (Ep. aux Philippiens, 3, 9.)
idem plus courtLuther et la Grâce divine
« Pendant que je méditais, jour et nuit, et que j'examinai l'enchaînement de ces mots : « La justice de Dieu est révélée dans l'Evangile », comme il est écrit : « Le juste vivra par la foi », je commençai à comprendre que la justice de Dieu signifie ici la justice que Dieu donne et par laquelle le juste vit s'il a la foi. Le sens de la phrase est donc celui-ci : L'Evangile nous révèle la justice de Dieu, mais la justice passive, par laquelle Dieu, dans sa miséricorde, nous justifie au moyen de la foi... Aussitôt, je me sentis renaître, et il me sembla être entré par des portes largement ouvertes au Paradis même. »
Luther, Œuvres latines, préface, 1545. Extrait publié dans Stauffer, La Réforme, Que sais-je ? PUF, 1970, p. 13.
La révolte
Dans la religion catholique, les peines liées aux péchés peuvent être effacées par des indulgences, dispenses accordées par l'Église aux pénitents ayant effectué des actes pieux. À partir de 1515, le pape les vend pour achever la basilique Saint-Pierre de Rome.
- Lettre de Luther à Albert, archevêque de Mayence, le 31 octobre 1517, quand Luther affiche ses 95 thèses.
"Père vénérable en Dieu, prince très illustre, veuille votre grâce jeter un oeil favorable sur moi qui ne suis que terre et cendre, et recevoir favorablement ma demande avec la douceur épiscopale. On porte par tout le pays, au nom de votre grâce et seigneurie, l'indulgence papale pour la construction de la cathédrale de Saint-Pierre de Rome. Je ne blâme pas tant les grandes clameurs des prédicateurs de l'indulgence, lesquels je n'ai point entendus, que le faux sens adopté par le pauvre, simple et grossier peuple, qui publie [ = dit] partout hautement les imaginations qu'il a conçues à ce sujet.
Cela me fait mal et me rend malade.
Ils croient que les âmes seront tirées du purgatoire dès qu'ils auront mis l'argent dans les coffres. Ils croient que l'indulgence est assez puissante pour sauver le plus grand pêcheur, (...)."
(cité de Luther d'après Luther, fragments extraits de ses oeuvres par G. A. Hoff, Lausanne, 1887, pp. 34-35)
- Quelques thèses affichées le 31 octobre 1517 à la porte de l'église du château électoral de Wittenberg.
"6. Le pape ne peut pardonner les péchés qu'au nom de Dieu.
27. C'est une invention humaine de prêcher que, sitôt que l'argent résonne dans la caisse, l'âme s'envole du purgatoire.
28. Assurément, sitôt que l'argent résonne dans la caisse, le gain et la cupidité augmentent. Mais le salut que peut accorder l'Eglise consiste dans la grâce de Dieu.
32. Tous ceux qui pensent gagner le ciel moyennant les lettres de pardon délivrées par les hommes s'en iront en enfer avec ceux qui les endoctrinent ainsi.
43. On doit enseigner aux chrétiens que celui qui fait du bien aux pauvres est à préférer à celui qui achète des indulgences.
62. Le vrai trésor de l'Eglise, c'est le saint Evangile de la gloire et de la grâce de Dieu.
83. Pourquoi le pape, dans sa très sainte charité, ne vide-t-il pas le purgatoire, où tant d'âmes sont en peine ? Ce serait là exercer plus dignement son pouvoir que de délivrer les âmes à prix d'argent."
(cité de Luther d'après Luther , fragments extraits de ses oeuvres par G. A. Hoff, Lausanne, 1887, pp. 67-69)
autres extraits des 95 thèses« À tout chrétien vraiment repentant, la rémission plénière de la pénitence et même du péché est due sans lettres d'indulgence. Il faut enseigner aux chrétiens que celui qui voit un nécessiteux et qui, sans avoir souci de lui, donne pour la rémission de ses propres fautes, celui-là s'attire non les indulgences du pape, mais l'indignation de Dieu.
C'est pourquoi les prédicateurs de l'indulgence sont dans l'erreur quand ils disent que les indulgences du pape délivrent l'homme de toutes les peines et le sauvent.
Pourquoi le pape, dont le sac est aujourd'hui plus gros que celui des plus riches, n'édifie-t-il pas au moins cette basilique de Saint-Pierre avec ses propres deniers, plutôt qu'avec l'argent des pauvres fidèles ?
Tout vrai chrétien, vivant ou défunt, participe à tous les biens du Christ et de l'Église, par la grâce de Dieu, et sans lettres d'indulgence.
Les indulgences, dont les prédicateurs prônent à grands cris les mérites, n'en ont qu'un, celui de rapporter de l'argent (...).
Le véritable trésor de l'Église, c'est le sacro-saint Évangile de la gloire et la grâce de Dieu. »
extraits de Martin Luther, 95 thèses, 1517.
Le sacerdoce universel
« On a inventé que le Pape, les Evêques, les Prêtres, les gens des Monastères seraient appelés état ecclésiastique, les Princes, les Seigneurs, les artisans et les paysans l'état laïque, ce qui est certes une fine subtilité et une belle hypocrisie. Mais personne ne doit se laisser intimider par cette distinction, pour cette bonne raison que tous les Chrétiens appartiennent vraiment à l'état ecclésiastique, il n'existe entre eux aucune différence, si ce n'est celle de la fonction, comme le montre Paul en disant (I Cor. 12 [12 ss.]) que nous sommes tous un seul corps, mais que chaque membre a sa fonction propre, par laquelle il sert les autres, ce qui provient de ce que nous avons un même baptême, un même Evangile et une même foi et sommes de la même manière Chrétiens, car ce sont le baptême, l'Evangile et la foi qui seuls forment l'état ecclésiastique et le peuple chrétien. (...)
Et, pour dire la chose plus clairement encore : si une petite troupe de pieux laïcs chrétiens était faite prisonnière et déportée dans un lieu désert, s'ils n'avaient pas auprès d'eux un prêtre consacré par un Evêque et s'ils se trouvaient à ce moment d'accord à ce sujet, ils choisiraient l'un d'entre eux, qu'il soit ou non marié, et lui confieraient la charge de baptiser, de célébrer la messe, d'absoudre et de prêcher, comme si tous les Evêques et les Papes l'avaient consacré. »
in Martin Luther, A la noblesse chrétienne de la nation allemande : sur l'amendement de l'état chrétien, 1520
cité dans Luther, Les grands écrits réformateurs, trad. Maurice Gravier, Flammarion, Paris, 1992, pp. 107-109
« Tous les chrétiens appartiennent vraiment à l'état ecclésiastique (...). Si le pape agit contre l'Écriture, nous avons le devoir de porter assistance à l'Écriture, de le réprimander et de l'obliger à obéir. »
in Luther, A la noblesse chrétienne de la nation allemande, 1520
Autres citations (plus complètes) du même passage.
La contestation de l'Église romaine par Luther (1520)
« Avec une grande adresse, les Romanistes se sont entourés de trois murailles grâce à quoi ils se sont jusqu'ici protégés et ils ont empêché que quiconque puisse les réformer, si bien que la Chrétienté tout entière a, de ce fait, atteint un état d'effroyable décadence. (...)
On a inventé que le Pape, les Évêques, les gens des monastères seraient appelés état ecclésiastique, les Princes, les Seigneurs, les artisans et les paysans l'état laïque, ce qui est certes une fine subtilité et une belle hypocrisie. Mais personne ne doit se laisser intimider par cette distinction, pour cette bonne raison que tous les Chrétiens appartiennent vraiment à l'état ecclésiastique, il n'existe entre eux aucune différence, si ce n'est celle de la fonction, comme le montre Paul en disant (I Cor. 12), que nous sommes tous un seul corps, mais que chaque membre a sa fonction propre, par laquelle il sert les autres, ce qui provient de ce que nous avons un même baptême, un même Évangile et une même foi et sommes de la même manière Chrétiens, car ce sont le baptême, l'Évangile et la foi qui seuls forment l'état ecclésiastique et le peuple chrétien. Ce que fait le Pape ou l'Évêque, l'onction, la tonsure, l'ordination, la consécration, le costume, différent de la tenue laïque, peuvent transformer un homme en cagot, ou en idole barbouillée d'huile, mais ils ne font pas le moins du monde un membre du sacerdoce ou un chrétien. (...)
Ils prétendent être seuls maîtres de l'Écriture, encore que, leur vie durant, ils ne l'étudient jamais, ils s'arrogent l'autorité exclusive et nous font accroire par des paroles impudentes que le Pape ne peut se tromper dans le domaine de la foi, qu'il soit méchant ou bon, mais ils ne peuvent pas apporter à ceci le moindre commencement de preuve. De là vient que le droit canon renferme tant de lois hérétiques et antichrétiennes, voire antinaturelles, il n'est pas besoin d'en faire mention, car du moment qu'ils croient que le Saint-Esprit ne les abandonnera pas, aussi ignorants et mauvais qu'ils puissent être, ils s'enhardissent au point de transformer en articles de loi leurs moindres caprices. Et dans ces conditions, en quoi la Sainte Écriture serait-elle nécessaire et même utile ? Brûlons-là et contentons-nous des seigneurs ignares de Rome qui possèdent l'Esprit Saint, alors que seuls les coeurs purs peuvent le posséder. (...)
Si le Pape agit contre l'Écriture, nous avons le devoir de porter assistance à l'Écriture, de le réprimander et de l'obliger à obéir (...). C'est pourquoi, quand la nécessité l'impose et que le Pape est une source de scandale pour la Chrétienté, le premier qui se trouve capable de le faire doit, en tant que membre fidèle de tout le corps, travailler à la réunion d'un véritable concile libre, et nul ne le peut aussi bien que ceux qui ont en main le glaive temporel, surtout du moment qu'ils sont, comme les autres, Chrétiens, prêtres, gens d'Église, qu'ils participent avec eux à tout le pouvoir et que leur fonction et leur activité qu'ils tiennent de Dieu doit s'exercer librement sur quiconque, quand il est nécessaire et utile qu'elle s'exerce (...) ».
Martin LUTHER, « A la noblesse chrétienne de nation allemande » (1520), dans Ecrits réformateurs, Paris, Garnier-Flammarion, 1992, p. 106 - 117.
Les raisons du sacerdoce universel : Luther rejette le clergé catholique et sa hiérarchie
« Nous avons tous le même baptême, le même Évangile, la même foi, et nous sommes tous égaux comme chrétiens (...). Il devrait en être du curé comme du bailli ; que pendant ses fonctions il soit au-dessus des autres ; déposé, qu'il redevienne ce qu'il a été, simple bourgeois. Les caractères indélébiles ne sont qu'une chimère (...). Le pouvoir séculier étant institué de Dieu afin de punir les méchants et de protéger les bons, son ministère devrait s'étendre sur toute la chrétienté, sans considération de personne, pape, évêque, moine, religieux ou autre, n'importe (...). Un prêtre a-t-il été tué : tout le pays est frappé d'interdit. Pourquoi n'en est-il pas de même après le meurtre d'un paysan ? D'où vient une telle différence entre des chrétiens que Jésus-Christ appelle égaux ? Uniquement des lois et des inventions humaines.Nous sommes tous prêtres. L'Apôtre ne dit-il pas : « Un homme spirituel juge toutes choses et n'est jugé par personne » ? Nous avons tous un même esprit dans la foi, dit encore l'Évangile, pourquoi ne sentirions-nous pas, aussi bien que les papes qui sont souvent des mécréants, ce qui est conforme ou contraire à la foi ?
Tous les chrétiens appartiennent vraiment à l'état ecclésiastique. Il n'existe entre eux aucune différence. Ce sont le baptême, l'Évangile et la Foi qui seuls forment l'état ecclésiastique. »
in Luther, A la noblesse chrétienne de la nation allemande, 1520
Recommandations de Luther à la noblesse chrétienne de la nation allemande
"Voici donc mon conseil : puisque ces bouffonneries ne sont pas abolies, il faut que tous les bons Chrétiens ouvrent leurs yeux, qu'ils ne se laissent pas induire en erreur par les bulles, les cachets et leur fausse dévotion, qu'ils restent chez eux dans leur église et se contentent parfaitement de leur baptême, de l'Évangile, de la foi, du Christ et de Dieu qui sont les mêmes en tous lieux, sans se soucier du Pape, aveugle chef des aveugles (...).Tenez ceci pour une règle sûre : ce qu'il vous faut acheter au Pape n'est pas bon et ne vient pas de Dieu, car non seulement ce qui vient de Dieu est donné gratuitement, mais tout le monde est puni et damné de n'avoir pas voulu l'accepter gratuitement, comme on doit faire pour l'Évangile et les oeuvres divines."
in Luther, A la noblesse chrétienne de la nation allemande, 1520
La prédication de Luther et son succès en Allemagne (1520)
« S'ensuit l'an 1520, année durant laquelle la paix étant maintenue en Italie pour les mêmes raisons qui avaient fait qu'elle s'y était maintenue l'année précédente, certaines doctrines nouvelles commencèrent à se répandre, dirigées d'abord contre l'autorité de l'Église romaine, puis contre l'autorité de la religion chrétienne. Ce poison pestifère trouva son origine en Allemagne, dans la province de Saxe, avec les prédications de Martin Luther, frère profès de l'ordre de saint Augustin ; celui-ci reprit à son compte, à ses débuts, les anciennes erreurs des Bohémiens qui, après que le concile universel célébré à Constance les eut condamnés et eut fait brûler les deux principaux chefs de cette hérésie - Jean Hus et Jérôme de Prague - étaient restés longtemps confinées à l'intérieur de la Bohême. Mais ce fut l'autorité du Siège apostolique, dont Léon (1) usa avec trop de licence, qui donna l'occasion de les faire renaître nouvellement en Germanie : suivant les conseils de Lorenzo Pucci (2), cardinal des Quatre-Saints, à propos des grâces que Rome concède pour les affaires spirituelles et les bénéfices, le pape, sans distinction de temps et de lieux, avait distribué dans le monde entier de très amples indulgences qui pouvaient non seulement être utiles à ceux qui sont encore en vie, mais offraient la possibilité de libérer des peines du purgatoire les âmes des défunts. Tout cela n'avait en soi ni la moindre vraisemblance ni la moindre autorité, car il était notoire qu'on ne les accordait que pour extorquer de l'argent aux hommes qui abondent davantage en simplicité qu'en prudence. En outre, comme les commissaires dépêchés pour percevoir cet argent - dont la plupart achetaient à la curie le droit de le faire - exerçaient leur charge avec impudence, ils avaient, en bien des lieux, provoqué indignation et scandale, surtout en Germanie où l'on voyait nombre de ces envoyés vendre à vil prix ou jouer dans les tavernes la possibilité de libérer du purgatoire les âmes des morts.
[L'indignation] s'accrut parce que le pape, dont le naturel désinvolte lui faisait, en bien des affaires, remplir sans grande majesté ses devoirs pontificaux, donna les gains et les revenus des indulgences de bonne part de la Germanie à sa soeur Maddalena (3) ; celle-ci avait fait envoyer comme commissaire l'évêque Arcimboldi (4), ministre fort digne d'une telle commission et qui l'exécutait en extorquant les fonds avec une grande avidité, et toute la Germanie savait bien que l'argent qu'on tirait des indulgences n'allait ni au pape ni au trésor apostolique (qui auraient peut-être pu faire bon usage d'au moins une partie de ces sommes) mais était destiné à assouvir l'avidité d'une femme : tout cela avait rendu détestable non seulement la perception de l'argent et les gens envoyés à cet effet, mais le nom même et l'autorité de celui qui accordait les indulgences aussi inconsidérément. Luther saisit cette occasion pour montrer son mépris envers la concession de ces indulgences et pour critiquer à ce propos l'autorité du pape et, le nombre de ceux qui venaient l'écouter grandissant sans cesse, car en la matière les peuples lui prêtaient une oreille favorable, il commença chaque jour un peu plus à nier ouvertement l'autorité du souverain pontife.
Après ces débuts, peut-être honnêtes ou du moins excusables par la juste occasion qui lui avait été donnée, poussé par son ambition, son prestige auprès du peuple et la faveur du duc de Saxe, non seulement il s'éleva sans aucune mesure contre le pouvoir des papes et l'autorité de l'Église romaine, mais, retombant ainsi dans les erreurs des Bohémiens, il commença peu à peu à ôter les images des églises, à dépouiller de leurs biens les domaines ecclésiastiques, à permettre aux moines et aux moniales ayant prononcé leurs vœux de se marier, en étayant cette opinion non seulement par l'autorité et les arguments, mais aussi par son propre exemple (5) ; il niait aussi que le pouvoir du pape s'étendît hors de l'évêché de Rome et affirmait que tout évêque avait dans son diocèse la même autorité que le pape dans celui de Rome ; il méprisait toutes les décisions des conciles, tous les écrits de ceux que l'on nomme les docteurs de l'Église, tous les canons et les décrets des papes, et s'en tenait à l'Ancien Testament, au livre des Évangiles, aux Actes des Apôtres, à tout ce que l'on comprend sous le nom de Nouveau testament et aux Epîtres de saint Paul, mais en donnant à ces écrits un sens nouveau et dangereux grâce à des interprétations inouïes. Et la folie de cet homme et de ses partisans ne s'arrêta pas là, mais suivi - peut-on dire - par presque toute la Germanie et tombant chaque jour dans des erreurs plus détestables et plus pernicieuses, il alla jusqu'à s'attaquer aux sacrements de l'Église, à mépriser jeûnes, pénitences et confessions ; certains de ses sectateurs, qui s'étaient déjà détachés quelque peu de son autorité, poussèrent même jusqu'à inventer des choses pestifères et diaboliques à propos de l'eucharistie (6). Ces choses, qui étaient fondées sur le refus de l'autorité des conciles et des saints docteurs, ont ouvert la voie à toute sorte d'inventions et interprétations nouvelles et perverses. Cette doctrine se répandit en bien des lieux, même hors de Germanie, parce qu'elle libérait les hommes de nombreuses règles, établies pour le salut de tous par les conciles universels de l'Église, les décrets des papes, l'autorité des canons et les saines interprétations des saints docteurs, et permettait donc à tous une forme de vie presque libre, qui faisait de chacun son propre arbitre. »
Francesco GUICCIARDINI, Histoire d'Italie, 1492 - 1534, livre XIII, chapitre XV [1520], Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1996 t. II, p. 149 – 153.
1) Léon X, né Giovanni de Médicis à Florence en 1475, second fils de Laurent le Magnifique, avait été élu pape le 9 mars 1513. Il mourut le 1er décembre 1521.
2) Lorenzo Pucci, professeur de droit, et conseiller de Laurent le Magnifique, fut nommé cardinal par Léon X en 1513. Il occupait à la curie la fonction de dataire ; la daterie apostolique est le service qui accorde les dispenses, sources de grands revenus pour le trésor pontifical.
3) Maddalena, fille de Laurent le Magnifique
4) Giovanni Angelo Arcimboldi (1485 – 1555) fut nommé en 1514 commissaire pour les indulgences en Allemagne. Le bref de nomination lui accordait 25 % de ce qu'il y recueillerait.
5) Allusion au mariage de Martin Luther en 1525 avec Katarina von Bora, qui avait été religieuse.
6) Allusion au réformateur suisse Ulrich Zwingli, qui niait la présence réelle dans l'eucharistie.
Luther et l'autorité du pape
« Garde-toi, ô Léon, mon Père, de prêter l'oreille à ces sirènes qui font de toi quelque chose de plus qu'un homme ordinaire : presque un Dieu, qui puisse tout ordonner et tout exiger... Ils errent, ceux qui t'exaltent au-dessus du concile et de l'Eglise universelle. »
Luther, Lettre à Léon X, octobre 1520. En réponse de la bulle émise par le pape, excommuniant Luther, Exsurge Domine. Extrait publié dans Stauffer, La Réforme, Que sais-je ? PUF, 1970, pp. 25.
Discours de Martin Luther à la Diète de Worms (18 avril 1521) devant l'empereur Charles Quint et les princes
Alors que ses écrits ont déjà été condamnés par la bulle Exsurge Domine, Marin Luther est convoqué à la Diète impériale sur les instances de son protecteur, le prince-electeur Frédéric le Sage. Arrivé à Worms sous la garantie d'un sauf-conduit impérial, Luther comparaît devant la Diète au soir du 17 avril 1521 ; il est invité à reconnaître ses ouvrages, rassemblés par le nonce Aléandre en guise de pièces à conviction, et à déclarer s'il les rétracte en totalité ou en partie. Luther reconnaît les livres comme siens, mais demande un temps de réflexion. Le 18 avril en fin de journée, il comparaît à nouveau devant l'Empereur et les princes et y prononce le discours suivant, en latin.
« Sérénissime Seigneur Empereur, très illustres Princes, très gracieux Seigneurs,
A l'heure qui m'a été fixée hier soir, je comparais, obéissant, suppliant Votre Majesté sérénissime ainsi que Vos Seigneuries très illustres de daigner prêter une oreille clémente à cette cause qui, je l'espère, est celle de la justice et de la vérité. Et si, faute d'expérience, je mésuse des titres, et que j'omette ainsi de rendre à quelqu'un l'honneur qui lui est dû, ou si, par mon attitude, je pêche de quelque manière à l'encontre des usages de la cour, que votre bienveillance me pardonne : je n'ai pas vécu dans les palais princiers mais dans les retraites des moines. Je n'ai pas d'autre témoignage à me rendre sinon que, jusqu'à ce jour, mon seul souci, en enseignant et en écrivant, a été de rechercher la gloire de Dieu et la pure instruction des fidèles.
Sérénissime Empereur, très illustres Princes, deux points m'ont été proposés hier par votre S. Majesté. Il m'a été demandé si je reconnaissais comme miens les livres que l'on a énumérés et qui ont été publiés sous mon nom ; si j'entendais les défendre encore ou les rétracter. Sur le premier point, ma réponse était prête : je l'ai donnée dans ambages ; je m'y tiens encore et ne je cesserai de le faire : il s'agit bien de mes livres, que j'ai publiés moi-même sous mon nom, à la réserve près des changements ou des interprétations malheureuse qui pourraient être dus, depuis lors, à la ruse ou à la sagesse mal venue de mes adversaires. Je ne reconnais en tout cas rien qui ne soit de moi seul et que je n'aie été seul à écrire, à l'exclusion de toute interprétation.
Pour réponde sur le deuxième point, je prie votre S. Majesté et vos Seigneuries de daigner remarquer que mes livres ne sont pas tous de la même sorte.
Il en est certains où j'ai traité de la foi et des moeurs en des termes si simples et si évangéliques que mes adversaires mêmes se voient contraints de reconnaître leur utilité et leur innocuité, et qu'ils sont dignes d'un lecteur chrétien. La bulle pontificale elle-même (1), tout impitoyable et cruelle qu'elle soit, admet que certains de ces livres sont inoffensifs, bien que, par un jugement plus qu'étrange, elle ne laisse pas de les condamner. Si donc je me mettais à les rétracter, que ferais-je d'autre, je vous prie, que de condamner, moi seul parmi tous les mortels, la vérité qu'amis et ennemis confessent d'un commun accord ? Il n'y aurait que moi pour résister à l'unanimité de cette confession.
Une seconde catégorie d'écrits est celle qui met en cause la papauté et les entreprise papistes dans la mesure où, par les pires des enseignements et des exemples, elles ont opéré dans les mondes chrétien une double dévastation : celle des esprits et celle du corps. Car nul ne peut le nier ni le dissimuler, alors que l'expérience générale et la plainte universelle en témoignent : les lois des papes et leurs doctrines humaines enlacent misérablement les consciences des fidèles, elles les tourmentent et les torturent ; les biens et les ressources, surtout dans notre illustre nation allemande, ont été dévorés indignement et le sont encore, sans que la fin de tout cela soit en vue. Avec cela, contre ceux qui les tiendraient pour une erreur condamnable, leurs propres décrets assurent la défense des lois et des enseignements du pape opposés à l'Évangile et aux déclarations des Pères. Si donc je rétractais aussi ces livres, je ne ferais rien d'autre que fortifier leur tyrannie et d'ouvrir à une si grande impiété non seulement les fenêtres mais aussi les portes, pour qu'elle se répande plus librement qu'elle n'a jamais osé le faire jusqu'à présent. Ma rétractation serait un témoignage propre à rendre encore beaucoup plus intolérable pour le pauvre peuple le règne de leur malice toute licencieuse et impunie ; elle ne rendrait néanmoins ce règne que plus fort et plus stable, surtout si l'on pouvait faire valoir que j'ai fait cela sur l'ordre de votre S. Majesté sérénissime et de tout l'Empire romain. Grand Dieu ! Combien je servirais alors de manteau à la malice et à la tyrannie !
La troisième catégorie est celle des livres que j'ai écrits à l'adresse de certaines personnes privées, qui se mettent en avant pour prendre sous leur protection la tyrannie romaine et qui ont entrepris de renverser ce que j'enseigne sur la foi. Je confesse qu'à leur endroit j'ai été plus acerbe qu'il ne convient à un homme qui a fait profession de religion. J'ajoute que je ne me présente pas comme un saint : ce n'est pas la vie [du chrétien] que je mets en discussion, mais ce qu'on enseigne de Jésus-Christ. Pas plus qu'auparavant, il ne m'est possible de rétracter mes écrits, car si je le faisais, c'est sous mon patronage que la tyrannie et l'impiété règneraient et se déchaîneraient contre le peuple de Dieu, avec plus de violence que jamais auparavant.
Je ne suis qu'un homme, cependant, et non pas Dieu, et je ne puis défendre mes traités autrement que Jésus-Christ Notre-Seigneur n'a lui-même défendu son enseignement devant Anne. Alors qu'on l'interrogeait et qu'un serviteur l'avait souffleté : « Si j'ai mal parlé, dit-il, fais connaître ce que j'ai dit de mal ». Si le Seigneur même, qui se savait incapable d'erreur, ne refuse quand même pas d'entendre contester son enseignement, à combien plus forte raison moi, lie du peuple, sans cesse exposé à l'erreur, ne doisèje pas désirer et demander que l'on veuille contester mon enseignement ! C'est pourquoi, par la miséricorde de Dieu, je prie votre S. majesté, vos illustres Seigneuries et quiconque le pourrait, le plus grand ou le moindre, de contester, de me convaincre de mes erreurs, de me réfuter par les écrits prophétiques et évangéliques ; si je devais alors être mieux instruit, nul ne serait plus disposé que moi à rétracter quelque erreur que ce soit et je serais le tout premier à jeter mes écrits au feu.
Ce que je viens de dire montre à l'évidence que j'ai assez considéré et pesé les dangers, les passions et les dissensions qui devaient surgir dans le monde à l'occasion de mon enseignement et qui m'ont valu hier de graves et d'abondants reproches. Pour moi, l'aspect le plus réjouissant de tous, en ces choses, est de voir que des passions et des dissensions surgissent au sujet de la Parole de Dieu. Car telle est bien la carrière du Verbe de Dieu sur terre, par les abîmes et par les sommets : « Je ne suis pas venu apporter la paix, dit-il, mais l'épée ; je suis venu mettre la division entre l'homme et son père, etc. » [Matthieu, 10, 34 et suiv.]. Il ne faut pas qu'en tentant de faire quelque chose pour apaiser les passions, l'on commence par rejeter la parole de Dieu, de peur que cette tentative ne tourne à un déluge de malheurs intolérables. Nous devons veiller à ce que le règne impérial de notre jeune prince Charles (sur qui, après Dieu, un grand espoir repose) ne soit pas malheureux et ne commence pas sous des auspices funestes. Je pourrais illustrer cela à l'aide de nombreux exemples de l'Écriture, qui touchent au Pharaon, au roi de Babylone et aux rois d'Israël, personnages qui connurent les plus grands désastres justement alors que leurs plus sages desseins tendaient à établir la paix et à affermir leur règne. C'est [Dieu] lui-même, en effet, qui surprend les habiles dans leur habileté et qui renverse les montagnes avant qu'elles s'en aperçoivent [Job, 5, 13 et 9, 5]. Il faut donc craindre Dieu. Si je dis ces choses, ce n'est pas que je pense que de si hautes sommités aient besoin de mon enseignement ou de mes avertissements. Mais je n'ai pas le droit de dérober à mon Allemagne le service que je lui dois. Et par ces paroles, je me recommande à votre S. Majesté ainsi qu'à vos Seigneuries, les suppliant humblement de ne pas tolérer que les passions de mes adversaires me rendent justement détestables à leurs yeux.
J'ai dit.
(Après que j'eus parlé, le porte-parole impérial eut l'air de vouloir me reprendre vertement et dit que je ne m'étais pas tenu à l'affaire et qu'il ne fallait pas remettre en question les points qui avaient été autrefois condamnés et définis dans les conciles. Il me demandait donc une réponse simple et sans cornes : voulais-je rétracter [mes écrits] ou non ?)
Voici ce que je dis alors :
Puisque Votre S. Majesté et Vos Seigneuries demandent une réponse simple, je vous la donnerai sans cornes ni dents. Voici : à moins qu'on ne me convainque par des attestations de l'Écriture ou par d'évidentes raisons - car je n'ajoute foi ni au pape ni aux conciles seuls, puisqu'il est clair qu'ils se sont souvent trompés et qu'ils se sont contredits eux-mêmes - je suis lié par les textes scripturaires que j'ai cités et ma conscience est captive des paroles de Dieu ; je ne puis ni ne veux me rétracter en rien, car il n'est ni sûr ni honnête d'agir contre sa propre conscience. Je ne puis autrement, me voici, que Dieu me soit en aide. »
Publié dans Martin Luther, OEuvres, publiées sous les auspices de Alliance nationale des Eglises luthériennes de France et de la revue « Positions luthériennes », t. II, Genève, Labor et Fides, 1966, p. 313 – 316.
1) Il s'agit de la bulle Exsurge Domine, du 15 juin 1520.
Charles Quint à la Diète de Worms (19 - 20 avril 1521)
L'original français du discours de Charles Quint :
« Vous savez que je suis descendu des empereurs très chrétiens de la noble nation germanique, des rois catholiques d'Espagne, des archiducs d'Autriche, des ducs de Bourgogne, lesquels tous ont été jusques à la mort fils fidèles de l'Église Romaine, ayant toujours été défenseurs de la foi catholique, des sacrées cérémonies, décrets, ordonnances et saintes coutumes à l'honneur de Dieu, augmentation de la foi et salut des âmes, après le trépas desquels par droit naturel et héritage nous ont laissé lesdites saintes observations catholiques, pour y vivre et mourir à leur exemple, auxquelles comme vrai imitateurs d'iceux nos prédécesseurs avons par la grâce de Dieu jusques à ici vécu.
A cette cause je suis délibéré d'entretenir tout ce que mesdits prédécesseurs et moi avons entretenu jusques à présent et par espécial ce que a été ordonné par lesdits mes prédécesseurs, tant au concile de Constance que autres ; car il est certain que un seul frère erre en son opinion, laquelle est contre toute la chrétienté, tant du temps passé mille ans et plus que du présent, selon laquelle opinion toute ladite chrétienté serait et aurait toujours été en erreur ; parquoi je suis déterminé toutellement y employer mes royaumes et seigneuries, mes amis, mon corps, mon sang, ma vie et mon âme. Car ce serait grande honte à moi et à vous, qui êtes la noble et renommé nation de Germanie, qui sommes par privilège et prééminence singulière institués défenseurs et protecteurs de la foi catholique que en notre temps son seulement hérésie, mais suspicion d'hérésie ou diminution de la religion chrétienne par notre négligence demeure après nous aux courages [dans les coeurs] des hommes à notre perpétuel déshonneur et de nos successeurs.
Et ouïe la réponse pertinace que Luther donna hier [18 avril] en la présence de nous tous, je vous déclare que je me repens d'avoir tant délayé à procéder contre ledit Luther et sa fausse doctrine, et ne suis délibéré de plus outre l'ouïr parler, mais j'entends que incontinent selon la forme du mandat qu'il soit ramené, en gardant la teneur de son sauf-conduit, sans prêcher ni admonester le peuple de sa mauvaise doctrine et sans procurer que aucune émotion se fasse. Et, comme ci-dessus ai dit, suis délibéré me conduire et procéder à l'encontre de lui comme contre notoire hérétique, vous requérant que vous vous déclariez en cette affaire comme bons Chrétiens et êtes tenus de le faire et m'avez promis.
Fait de ma main ce 19e d'avril de 1521.
Signé : Carolus. »
Original français des dossiers de la diète, VII, n° 82, p. 595 - 596, publié dans : SOLY, Hugo (dir.), Charles Quint, 1500 – 1558. L'empereur et son temps, Paris, Actes Sud, 2000, p. 518.
La version de l'historien Fray Prudencio de Sandoval :
« L'Empereur, voulant faire comprendre à quel point il désirait que la foi chrétienne soit conservée intacte, et que le monde ne soit pas troublé par l'opinion et par le défi d'un unique religieux, après avoir dîné, mécontent, s'enferma seul dans son appartement et, sans que personne ne le voie, écrivit en langue allemande une lettre et protestation de la foi, dont la substance traduite de cette langue est la suivante :
« Comme vous le savez, je descends des empereurs très chrétiens de la noble nation allemande, des Rois Catholiques d'Espagne, des archiducs d'Autriche, des ducs de Bourgogne, qui tous, jusqu'à leur mort, ont été les fidèles fils de l'Eglise de Rome ; toujours ils ont été les défenseurs de la foi catholique, des saints canons, des lois, des instructions et des saintes coutumes, pour l'honneur de Dieu, l'augmentation de la foi et le salut des âmes. Après leur mort, ils nous ont, par droit naturel et héréditaire, laissé en héritage ces saintes obligations catholiques, pour vivre et mourir selon leur exemple. Conformément à eux nous les avons respectées jusqu'à ce jour, en véritable imitateur de nos prédécesseurs et avec la grâce de Dieu.
Pour cette raison, je suis fermement déterminé à respecter tout ce que mes ancêtres et moi avons respecté jusqu'à cette heure ; tout particulièrement, ce que mes prédécesseurs ont ordonné tant au concile de Constance qu'aux autres [conciles]. Car elles sont certaines, et c'est une grande honte et un grand affront pour nous qu'un religieux, seul contre Dieu, dans l'erreur, avec son opinion qui s'oppose à celle que la chrétienté entière a tenu durant plus de mille ans et par le passé, veuille nous pervertir et nous convaincre que, à son avis, toute la chrétienté est et aurait toujours été dans l'erreur.
Ainsi, je suis résolu à tout mettre en oeuvre dans cette affaire : mes royaumes et seigneuries, mes amis, ma vie, mon sang et mon âme. Car ce serait un grand déshonneur pour moi et pour vous, qui êtes la noble et glorieuse nation allemande, nous qui avons été institués, par un privilège et une prééminence singulière, comme les défenseurs et les protecteurs de la foi catholique, si, à notre époque, non seulement l'hérésie, mais même le soupçon d'hérésie ou une diminution de la religion chrétienne s'introduisait à cause de notre négligence, et après nous s'installait durablement dans les coeurs des hommes, pour notre honte perpétuelle et celle de nos successeurs.
Et maintenant que vous avez entendu la réponse obstinée que Luther a prononcée hier en votre présence à tous, je vous déclare que je me repens d'avoir si longtemps tardé à m'opposer au dénommé Luther et à ses faux enseignements. Je suis entièrement résolu à ne plus l'entendre désormais, et je veux aussi ordonner qu'il soit ensuite reconduit, conformément à la teneur de son sauf-conduit, sans rien lui demander ni l'admonester sur sa maudite doctrine, et sans chercher à le faire changer d'avis, et je suis fermement décidé à m'opposer à lui et à le poursuivre comme hérétique notoire. Quant à vous, je vous demande de vous comporter, dans cette affaire, en bons chrétiens, comme il vous incombe de le faire et comme vous me l'avez promis.
Ecrit de ma main à Worms le 19 avril 1521.
CAROLUS. »
Le lendemain, l'Empereur ne voulut pas paraître au Conseil, mais il y fit lire cette confession, ce qui fut fait. Et autant les bons catholiques l'entendirent avec grande joie et approbation, autant les luthériens manifestèrent leur déception et leur mécontentement. Les catholiques louaient César pour sa constance et sa fermeté envers la véritable religion, et disaient qu'il était bien le fils de tels ancêtres. Les luthériens, au contraire, qu'il était jeune et mal conseillé, que les amis du pape le manipulaient et faisaient de lui ce qu'ils voulaient. (...)
Et pour qu'en Allemagne on connaisse la volonté et la sainte intention de l'Empereur, et à quel point il abominait les erreurs et les prétentions de Martin Luther et de ses partisans, dans la ville de Worms, le 8 mai 1521, en la deuxième année de son empire et la sixième de son règne, il ordonna de publier une provision et un édit contre les hérésies et les hérétiques, et de les crier dans toutes les villes de l'Empire. »
Fray Prudencio de SANDOVAL, Historia de la Vida y hechos del Emperador Carlos V, éd. par Carlos Seco Serrano, Madrid, Biblioteca de Autores Españoles, t. 80, p. 470 - 473 (traduction du castillan : I. Poutrin).
La rupture
- Déclaration de Luther à la Diète impériale de Worms, le 18 avril 1521.
"Très gracieux empereur, sérénissimes électeurs, princes et seigneurs !
Je comparais ici pour obéir à l'assignation de la Diète, et je supplie, au nom de la miséricorde divine, Votre majesté impériale [ = Charles Quint ] de prêter une oreille favorable à la cause juste et sainte que je défends; (...). Or, pour en venir aux deux points sur lesquels Votre majesté impériale m'ordonne de m'expliquer, à savoir si j'avoue mes livres et si je persiste à les défendre, je répète, à l'égard du premier, la déclaration humble et véridique que j'ai faite hier : Oui, ces livres sont les miens; je les avoue tous (...). A l'égard du second point, je prie Votre Altesse impériale (...) de bien vouloir considérer que mes livres ne sont pas tous de même nature. Il y en a qui traitent de la foi et des bonnes oeuvres, sans aucune tendance polémique. Mes adversaires reconnaissent qu'ils sont utiles, inoffensifs et dignes d'être médités par des coeurs chrétiens.(...) Il est une autre classe de mes écrits où j'attaque le papisme et ses partisans, pour avoir, par leurs fausses doctrines, leur mauvaise vie et leurs scandaleux exemples, désolé la chrétienté toute entière (...). Peut-on nier qu'avec une incroyable tyrannie il n'épuise et n'engloutisse jusqu'à ce jour les biens et les trésors des peuples,(...), quoique les papistes enseignent, dans leurs propres livres, que toute loi et doctrine du pape contraire à L'Evangile (...) doit être rejetée ? Et je rétracterais mes paroles ? Jamais !"
cité de Luther d'après Luther , fragments extraits de ses oeuvres par G. A. Hoff, Lausanne, 1887, pp. 216-219
- Ordonnance de Charles Quint, empereur du Saint-Empire (1531). Syntaxe d'époque.
"Premièrement. Que nul de quelque nation, état ou condition ne se permette dorénavant imprimer ou écrire, vendre ou acheter, distribuer, lire, garder, tenir sous soi ou recevoir, prêcher, instruire, soutenir ou défendre, communiquer ou disputer publiquement, ou secrètement, ou tenir conventicules [ = petites assemblées] ou assemblées des livres, écritures ou doctrines, ou aucunes dicelles [ = une des choses dites] , qu'on fait ou faire pourroient ledit Martin Luther (...) ou autres auteurs d'autres sectes [ = groupes religieux] hérétiques erronées ou abusives réprouvées de [ = condamnées par] l'Eglise.
A [ = Sous] peine ceux qui par ci-devant [ = la suite] auroient commis aucunes [= une de ces] erreurs et les auroient abjurées [ = y auraient renoncés] et y seroient retombées, d'être exécutés par le feu, et les autres, à savoir les hommes par l'épée, et les femmes par la fosse [ = enterrement vivant ? ], et nous accordons (...) à ceux qui les dénonceront (...) la moitié des biens de ceux qu'ils auront accusés (...)."
cité dans Jacques Dupâquier et Marcel Lachiver, Les Temps modernes , classe de 4e, nouvelle collection d'histoire, Bordas, Paris, 1970, p. 49
DIFFUSION DE LA REFORME
La Réforme s'accompagne d'une crise politique. Les Princes en furent les bénéficiaires (sécularisation des biens de l'Eglise à leur avantage). Les Eglises devinrent des Eglises d'Etat contrôlées par les Princes. L'Empereur va convoquer des diètes (1529 et 1530 à Augsbourg). Les "Protestants" refusent les décisions prises. En 1547, la guerre civile éclate et, en 1555, l'Empereur accepte la paix religieuse d'Augsbourg. Seuls les Princes sont libres de choisir leur religion. Les sujets doivent accepter la religion de leur prince. Le Saint-Empire est partagé en deux.
La parole de Dieu
Texte de Luther à propos de sa traduction de la Bible qui parut à Wittenberg en 1522.
"Franchement, j'ai été trop téméraire en entreprenant la traduction de l'Ancien Testament. La langue hébraïque a été longtemps négligée. Les Juifs mêmes ne la connaissent guère, (...). Qui ne la connaît point ne comprendra jamais parfaitement les saintes Écritures ; car même le Nouveau testament, écrit en grec, est rempli de locutions hébraïques. Aussi a-t-on raison de dire que les Hébreux boivent à la source, les Grecs dans le ruisseau qui en dérive, et les Latins dans le bourbier. (...)
Dans ma traduction de la Bible, je me suis efforcé de parler un allemand pur et intelligible. Souvent il nous est arrivé d'être à la quête d'une expression pendant quatre semaines sans être heureux dans nos recherches. (...) Aussi n'ai-je pas travaillé seul : partout j'ai recruté des auxiliaires. J'ai tâché de parler allemand, non grec ou latin. Or pour parler allemand, ce n'est pas les textes de langue latine qu'il faut interroger. La femme dans son ménage, les enfants dans leurs jeux, les bourgeois sur la place publique, voici les docteurs qu'il faut consulter ; c'est de leur bouche qu'il faut apprendre comment on parle, comment on interprète : après cela ils vous comprendront et ils sauront vous parler leur langue. (...) Cher
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Par lutherien le 30 Novembre 2009 à 07:41
On n'entend pas par calvinisme une doctrine ou une ecclésiologie issues directement de la pensée et de la pratique de Jean Calvin, mais, de manière large, ce qui concerne l'histoire, la pensée, la culture et l'influence des Eglises réformées (Réforme).
Quoique celles-ci ne soient pas exclusivement tributaires de Calvin, mais également de Martin Bucer, Heinrich Bullinger, voire de Philipp Melanchthon, c'est pourtant le réformateur de Genève qui leur donna son nom, tellement il est rapidement apparu comme la figure dominante du Protestantisme qui ne se rattachait pas à la Réforme de Luther.
Calvinisme et luthéranisme
Le calvinisme se distingue du luthéranisme dans le domaine de la théologie, des sacrements, de l'ecclésiologie et de l'éthique. En matière de christologie, Luther admettait une certaine communication des propriétés de la nature divine du Christ à sa nature humaine, ce qui l'amenait à reconnaître une présence réelle du corps du Christ lors de la célébration de la cène (consubstantiation), provenant du fait que ce corps était mis au bénéfice de la propriété divine de l'ubiquité. Calvin et les calvinistes refusèrent cette ubiquité: à leurs yeux, la nature humaine du Christ, à la suite de l'Ascension, siégeait à la droite de Dieu et ne pouvait comme telle être présente dans le sacrement, ce qui ne les empêchait pas de confesser une présence réelle du Christ dans la sainte cène, mais spirituelle et non matérielle.Parmi les autres points de divergence, il faut mentionner la doctrine de la prédestination, les luthériens récusant la double prédestination calvinienne, et celle des deux règnes, les calvinistes n'admettant pas qu'il puisse y avoir autonomie du règne temporel et prenant volontiers position dans le domaine politique, notamment en justifiant le droit de Résistance au tyran. En matière d'organisation ecclésiastique, le calvinisme se distingua aussi du luthéranisme.
Alors que ce dernier était, à l'origine, une confession liée à des états monarchiques et se trouvait ainsi directement soumis au pouvoir civil, le calvinisme fut plus libre: ses fidèles souvent dispersés (France, futurs Etats-Unis) ou vivant dans des pays à structure républicaine (Suisse, Provinces-Unies), il développa l'idée d'une juridiction ecclésiastique relativement autonome par rapport à la juridiction civile. Elle reposait sur le système presbytéro-synodal, structure représentative où laïcs et pasteurs partageaient les mêmes pouvoirs, composée au niveau local de Consistoires et au niveau régional ou national de Synodes . Enfin, le calvinisme était soucieux de faire respecter la discipline ecclésiastique; les consistoires veillèrent sur les croyances et les moeurs.
L'extension du calvinisme
Genève et Zurich
Dès 1549, un axe théologique entre Genève et Zurich se constitua à partir du Consensus tigurinus par lequel Calvin et Bullinger (le successeur de Zwingli) exprimaient leur accord sur la sainte cène. Les bases théologiques du calvinisme étaient posées et Bullinger lui donna en 1566 sa principale expression symbolique avec la Confession helvétique postérieure ( Confessions helvétiques ). Le successeur de Calvin, Théodore de Bèze, joua un rôle central dans la constitution de l'Europe calviniste qui se développa dans la seconde moitié du XVI e s. Le calvinisme s'étendit en France, où il fut la religion des huguenots auxquels Henri IV accorda une existence légale avec l'édit de Nantes (1598); sa révocation en 1685 par Louis XIV provoqua le refuge de dizaines de milliers de calvinistes en Suisse et dans le reste de l'Europe protestante ( Réfugiés protestants ).Allemagne
Le calvinisme se répandit en Allemagne, prit racine dans le Palatinat où fut rédigé le fameux catéchisme de Heidelberg en 1563, et d'où il s'étendit dans les principautés ou villes de Nassau, Brême, Lippe, Hesse-Cassel, Brandebourg et où il finit par être reconnu officiellement par les traités de Westphalie en 1648.Ecosse et Angleterre
Il fut introduit en Ecosse sous l'impulsion du disciple de Calvin, John Knox, en Angleterre où il se développa dans le mouvement puritain, courant auquel on peut rattacher Oliver Cromwell, en Amérique du Nord, où débarquèrent en 1620 les Pilgrim's Fathers, porteurs d'une conception presbytérienne de l'Eglise. Le calvinisme s'étendit jusqu'en Hongrie et en Transylvanie.Les Pays-Bas
Mais c'est aux Pays-Bas qu'il connut le développement le plus vigoureux et qu'eut lieu son principal conflit doctrinal, autour du problème de la double prédestination. Tranché par le synode de Dordrecht en 1618-1619, l'affrontement déboucha sur l'établissement des normes de l' Orthodoxie protestante pour un siècle (nature humaine totalement corrompue, élection divine inconditionnelle, mort du Christ destinée aux seuls élus, grâce irrésistible, persévérance des élus jusqu'au salut final). C'est pour défendre cette orthodoxie prétendument menacée par l'école théologique de Saumur, un peu plus ouverte en matière de doctrine de la grâce et de critique biblique, que les Eglises suisses imposèrent à leurs pasteurs la signature de la Formula Consensus (1675).Le calvinisme n'en subit pas moins une évolution dès le début du XVIII e s., principalement sous l'impulsion de trois pasteurs et professeurs, le Genevois Jean-Alphonse Turrettini, le Neuchâtelois Jean-Frédéric Ostervald et le Bâlois Samuel Werenfels, plus proches des Lumières que de la théologie de Calvin ou Bullinger. Dès lors, les confessions de foi perdirent de leur caractère normatif, subissant les assauts de la critique historique et des sciences expérimentales.
Au XIXe siècle
Au XIX e s., le calvinisme fut traversé par des courants contradictoires: le Réveil, d'une part, qui prétendait restaurer les formulations théologiques du XVIe s. dans un cadre marqué par le piétisme et le méthodisme; le libéralisme d'autre part qui, développant la critique rationnelle de la théologie, devait dissoudre le calvinisme dans les théologies protestantes de la conscience, de la culture, du sentiment, etc.En 1875, les calvinistes du monde entier se fédérèrent dans une Alliance presbytérienne mondiale (Alliance réformée mondiale depuis 1921), dont le siège est à Genève et qui réunit plus de 75 millions de chrétiens en 2003, dont 2,6 millions de protestants suisses. Le calvinisme joua un rôle primordial dans le développement de l'Oecuménisme .
C'est un pasteur calviniste hollandais, Willem Visser't Hooft, qui fut le premier secrétaire général du Conseil oecuménique des Eglises installé à Genève en 1948. Le plus important des théologiens d'origine calviniste au XX e s. est le Bâlois Karl Barth. Si sa pensée dépasse largement les frontières du calvinisme, elle ne se réclame pas moins de la pensée de Calvin et des autres théologiens qui ont contribué à façonner ce courant au XVI e s.
Au XXe siècle
Au début du XX e s., le calvinisme se manifesta dans le Monument de la Réformation de Genève, construit entre 1909 et 1919. Ce monument marque l'expansion mondiale du calvinisme et veut exprimer ses aspirations, soit l'héritage de Calvin. Préconisant le développement de l'instruction publique, exigeant la responsabilité personnelle dans l'éthique privée et une rigoureuse moralité dans les affaires publiques, dénonçant la tyrannie religieuse et politique, revendiquant le libre examen dès le XVIII e s. et au siècle suivant, sous l'impulsion d'Alexandre Vinet, la liberté des convictions religieuses, défendant en politique le système représentatif démocratique, demandant l'abolition de l'esclavage et une certaine justice sociale, le calvinisme a contribué à la constitution d'une certaine vision des droits de l'homme.Enfin, légitimant le prêt à intérêt moyennant certaines garanties, il a favorisé de ce fait le développement d'un réseau de banques protestantes dès le XVII e s. (nommé l'Internationale huguenote par Herbert Lüthy). Dans une thèse, souvent réduite à tort à une causalité directe entre Réforme et capitalisme, Max Weber a pensé voir en lui le facteur qui a permis le développement de l'économie dans un sens libéral et capitaliste.
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Par lutherien le 30 Novembre 2009 à 07:38
Ensemble des livres reconnus comme «Parole de Dieu» par les juifs (l'«Ancien Testament» sauf les Deutérocanoniques) et par les chrétiens.
Par ce nom, ceux-ci soulignent l'unité de tous les livres bibliques et l'unité de la révélation dans les deux Testaments. On dit aussi l'Ecriture (sainte) ou les Écritures.
Traduit en plus de 1500 langues, souvent conservé à la place d'honneur dans les bibliothèques ou à portée de main dans les chambres d'hôtel, le livre le plus largement diffusé dans le monde est l'œuvre fondatrice de la culture judéo-chrétienne : les scènes de l'histoire du peuple juif, la Passion de Jésus et les visions apocalyptiques de saint Jean, sans cesse revisitées par l'art et la littérature, se sont imposées comme des témoignages universels du destin de l'homme. Les lois de l'Ancien Testament et le message moral du Nouveau Testament sont des composantes de la civilisation occidentale.
Le mot « Bible » recouvre des réalités différentes selon les utilisateurs. Les juifs, par qui le livre a été écrit et transmis à l'humanité, parlent souvent de la Thorah (« Loi ») pour désigner les Écritures dans leur ensemble. Mais ils se servent aussi de la première lettre des trois grandes divisions : la Torah (la Loi), les Nebiim (les Prophètes), et les Kétoubim (les écrits) pour former le mot « Taanak ». Pour eux, la Bible est composée de 34 livres. Ce chiffre est relativement faible parce que les juifs regroupent plusieurs livres en un (ainsi tous les petits prophètes sont comptabilisés comme un seul livre). Les deux appellations « Ancien Testament » et « Nouveau Testament » proviennent de l'apôtre Paul, et même si certains préfèrent parler du « premier » et du « second » Testament pour dissiper tout malentendu, ces termes traditionnels semblent s'être imposés. La Bible protestante comporte 66 livres et la Bible catholique 73. Les deux communautés sont d'accord sur les 27 livres du Nouveau Testament. En revanche, les protestants, parce qu'ils refusent les 7 écrits transmis en grec (et non en hébreu), ne dénombrent que 39 livres pour l'Ancien Testament.
Le mot grec biblia («livres») a été emprunté par le latin puis entendu comme féminin singulier. Si la Bible désigne une véritable bibliothèque, celle-ci, constituée sur plusieurs siècles, s'est progressivement transformée en un ensemble.
L'Ancien TestamentLa Bible est constituée de trois grandes parties : le Pentateuque (ou Torah), les Prophètes et les écrits.
Le Pentateuque
Les cinq premiers livres portent le nom de Pentateuque (« cinq rouleaux »). Leur unité de sens tient à un auteur (Moïse, selon la tradition juive) et à une histoire (celle d'une Terre promise dont le don se fait de plus en plus proche). Selon la théologie rabbinique, la Torah éclaire tout, et une tradition juive enseigne que si Israël n'avait pas péché, il n'aurait pas eu besoin d'autres livres, car ceux-ci ne font que dévoiler au grand jour ce qui est déjà contenu en elle. Le Pentateuque, ce sont les commencements fondateurs, c'est-à-dire les événements et les paroles qui engendrent l'histoire d'Israël et le fait chrétien. Pour les croyants, le récit de la révélation du vrai Dieu à Moïse sur la montagne du Sinaï (Exode 3) constitue l'originalité de la Torah. De cette expérience va sortir tout le Pentateuque : l'Exode, livre clé du passage de la servitude vers le service de Dieu, et les livres qui le complètent, comme le Lévitique, les Nombres et le Deutéronome. Les commencements et le parcours des Pères font l'objet de la Genèse, qui a été écrite sous l'éclairage de l'expérience historique de l'Exode. En un mot, l'expérience du Sinaï permet de remonter en amont à la naissance des patriarches et au commencement du monde, et de suivre en aval toute l'histoire postérieure d'Israël fécondée par cette expérience.
Le Dieu du Sinaï donne son nom : YHWH. Ces quatre lettres ont de tout temps été prononcées par les juifs : « Adonaï » (c'est pour l'avoir ignoré que certains ont cru lire « Jéhovah »). Ce nom marque une rupture avec le Dieu des commencements, le Dieu de la nature ou des temples. Il se définit comme un Dieu en alliance, présent à l'histoire de son peuple.
La naissance du Pentateuque
Pendant longtemps, juifs et chrétiens ont cru que le Pentateuque avait été transmis par Dieu à Moïse sur le Sinaï. Mise en question à partir du XVIe siècle, cette vision religieuse a été écartée au profit d'une théorie qui s'est imposée au XIXe siècle. L'hypothèse de base en est qu'à l'origine du livre il y a quatre documents. Le premier, appelé Yahviste (désigné par la lettre J), proviendrait du temps de Salomon (vers 950 avant J.-C.) et du milieu intellectuel et religieux du Temple : il aurait présenté une première histoire sainte, en reprenant les anciennes traditions d'Israël et en les adaptant à la nouvelle situation créée par l'apparition récente de la royauté. Le deuxième, appelé Élohiste (E), aurait été conçu dans le royaume du Nord dans les années 900, après la rupture entre Juda et Israël. Le troisième document, le Deutéronome, aurait été inspiré par un projet de réforme législative, retrouvé dans le Temple cent ans plus tard, en 621. Enfin, le quatrième document serait l'œuvre de prêtres (il est désigné par la lettre P) qui ont tenté, pendant l'Exil, de répondre aux multiples interrogations nées de la perte de la terre, de la destruction du Temple et de la disparition de la royauté. Ce sont ces prêtres qui auraient donné une certaine unité à ces quatre traditions et composé, vers le IVe siècle, l'ouvrage définitif.
Cette théorie a régné pendant près d'un siècle. Or, depuis une vingtaine d'années, de nouvelles hypothèses semblent l'emporter. Ainsi, les spécialistes relativisent l'importance du Yahviste et en retardent la datation. L'existence de l'Élohiste est mise en doute d'une façon radicale. Enfin, tous les spécialistes s'accordent pour souligner le rôle des traditions deutéronomistes et de l'école sacerdotale, qui ont produit de grandes synthèses théologiques pendant et après l'Exil. Cependant, la synthèse globale apportant la solution à toutes les questions n'a pas encore vu le jour. Par conséquent, il est préférable de se rapporter à l'état dernier du Pentateuque, tel qu'il s'est fixé autour du IVe siècle, plutôt que de privilégier sa préhistoire, douteuse et discutée. Malgré la persistance de nombreuses interrogations, la critique peut affirmer avec certitude que la Bible s'est écrite sur une longue durée. En fait, entre Moïse (vers 1250) et la rédaction définitive du livre, il s'est passé près de huit cents ans.
Les Prophètes
La Bible hébraïque divise les prophètes en trois catégories : les prophètes antérieurs (Josué, Juges, I et II Samuel, I et II Rois), les prophètes postérieurs (Isaïe, Jérémie et Ézéchiel) et les petits prophètes (l'épithète renvoie à leur nombre restreint). Les chrétiens n'adoptent que les deux dernières catégories.
Les prophètes ont bénéficié d'un statut institutionnel en Israël. Mais déjà en Mésopotamie existaient des «voyants» qui vivaient près des temples et annonçaient l'avenir en pratiquant la divination par l'huile ou l'examen des entrailles d'animaux. En Phénicie, près d'Israël, des prophètes puisaient leur inspiration dans la musique, la danse, et parfois recouraient même à des mutilations physiques.
En Israël, ce type de prophétisme donne lieu très vite à l'émergence des figures charismatiques, chargées de veiller au message du Sinaï dans sa pureté. Appelés par Dieu, ces prophètes en deviennent les porte-parole. « Dieu dit », telle est la formule qui revient souvent dans leur bouche. Ce sont des témoins de leur temps, hommes de Dieu, habités par l'Esprit, qui apparaissent en général en période de crise. Leur parole, souvent mal reçue mais conservée par les écrits de leurs disciples, a résisté au temps et est devenue parole de Dieu grâce aux communautés juives et chrétiennes qui n'ont cessé de les lire et de s'en inspirer.
Les autres écrits ou littérature de sagesse
Regroupés sous l'appellation de «littérature de sagesse», les livres de Job, du Cantique des cantiques, de l'Ecclésiaste (ou Qohelet), des Proverbes, de l'Ecclésiastique (ou Siracide), de la Sagesse (les deux derniers absents de la Bible hébraïque) portent sur l'art de conduire sa vie vers le bonheur, sans perdre de vue le destin limité de l'homme et les normes tirées des expériences des anciens et des siennes propres.
Les livres bibliques dits de sagesse, à l'exception de quelques passages, sont tous postexiliques. Les réflexions et recommandations qui y sont rassemblées se nourrissent à la fois des traditions sapientielles de l'Israël ancien et d'autres littératures non bibliques, notamment égyptienne et babylonienne.
Les psaumes
Cet ensemble de 150 poèmes, divisé en cinq parties, évoque la foi d'Israël et son rapport à Dieu. Le recueil des psaumes – du mot grec psalmoi («pincer une corde de lyre ou d'arc»), traduction du terme hébreu tehillim (louange) – a une longue histoire qui se termine au cours du IIIe siècle avant J.-C., au moment où il a été traduit en grec dans la Septante. Il est difficile de dater les psaumes non seulement à cause de l'absence d'indications chronologiques, mais aussi parce que leur rédaction s'est parfois étendue sur une longue période et qu'ils ont connu des adaptations successives. Certains remontent au roi David, mais le rattachement de la plupart des psaumes à cette époque reculée, qui relève d'une pratique courante dans l'Antiquité (la pseudépigraphie), est abusif. En réalité, beaucoup d'entre eux ont été écrits pendant et après l'Exil. Les psaumes sont la trace de la prière d'Israël. Parmi les genres littéraires les plus importants, notons les hymnes, les lamentations ou supplications collectives, les psaumes royaux, les lamentations individuelles ou les actions de grâce individuelle.
Le Nouveau TestamentLe Nouveau Testament est formé de 27 écrits : les quatre Évangiles, les Actes des Apôtres, treize Lettres de Paul, la Lettre aux Hébreux, sept lettres appelées « Épîtres catholiques », et l'Apocalypse.
Les Evangiles
Les Évangiles sont tous centrés sur le personnage et surtout sur l'enseignement de Jésus, mais chacun avec son empreinte. Sur leur origine, qui reste toujours obscure, les hypothèses sont multiples. Les trois Évangiles de Matthieu, Marc et Luc – appelés Évangiles synoptiques parce que leur ressemblance permet de les lire sous «un même regard» – se distinguent cependant de l'Évangile de Jean.
Pour les trois premiers, la théorie la plus courante place deux sources au commencement (d'où son nom de « théorie des deux sources »). La première correspond à l'Évangile de Marc. La seconde – appelée source «Q» (de la première lettre du mot allemand Quelle signifiant « source ») – est aujourd'hui perdue, mais on peut la reconstituer partiellement, notamment en rassemblant les paroles communes à Matthieu et à Luc et absentes chez Marc.
L'Evangile de Marc, avec 661 versets, est le plus court de tous. Il ne contient que 30 versets qui lui soient personnels. Celui de Matthieu a presque 1 100 versets (dont 300 lui sont propres). Celui de Luc est formé de 1 150 versets dont 600 sont absents de tous les autres Évangiles. Les trois suivent une trame identique : d'abord la préparation de la mission de Jésus, suivie du ministère en Galilée, puis la montée vers Jérusalem, enfin la passion et la résurrection.
Jean eut à sa disposition des documents propres. En dehors de la passion/résurrection, où il suit la même trame que les autres évangélistes, il fait œuvre très personnelle à partir de récits connus pour la plupart de lui seul. Clément d'Alexandrie désigne son Évangile comme «spirituel» par opposition aux trois autres, «matériels». Cependant, la prétention historique n'y est pas complètement absente. La critique actuelle admet de plus en plus que Jean est bien informé, qu'il connaît la géographie de la Palestine, et qu'il dispose, pour ce qui concerne les séjours de Jésus en Judée, de renseignements de première main. Mais le Jésus qu'il met en scène est un Jésus glorieux, maître des événements et des personnages, conduisant son destin avec la liberté souveraine d'un seigneur. Entre le Jésus aux accents très humains de Marc et le Christ glorieux de Jean, on mesure l'écart entre deux christologies. On peut voir là l'effet de la relecture créatrice de l'évangéliste voulant offrir à sa communauté une référence fondatrice.
Créations uniques dans leur genre, les Évangiles ne sont pas des documents d'histoire à proprement parler. Nés de la foi des disciples en la résurrection de leur maître, ils contiennent d'authentiques souvenirs de Jésus, mais sélectionnés et décrits pour répondre aux besoins des communautés chrétiennes, en particulier dans le domaine de l'enseignement et de la liturgie. De plus, en écrivain authentique, chaque évangéliste a fait œuvre de création personnelle.
Les épîtres
Sur les 27 livres du Nouveau Testament, 21 sont constitués de lettres (épître vient du grec épistolè, «lettre importante») . Sept parmi elles sont appelées «catholiques» parce qu'elles n'ont pas de destinataires particuliers, mais s'adressent aux chrétiens en général (le grec katholikos signifie « universel ») : ce sont les lettres de Pierre, Jacques, Jean et Jude (l'auteur n'est pas clairement identifié pour celle de Jude). La lettre aux Hébreux, dont l'attribution à Paul reste incertaine, est plutôt considérée comme une homélie. L'ordre de présentation dans la Bible se fait en fonction de la longueur : la plus longue, la lettre aux Romains, ouvre les épîtres ; la lettre à Philémon, plus courte, clôture l'ensemble des lettres de Paul ; vient ensuite la lettre aux Hébreux suivie des lettres catholiques.
On connaît surtout les lettres de Paul, qui constituent un véritable traité théologique, même si tout son enseignement n'est pas entièrement exposé. Paul, passé du judaïsme au christianisme à la suite d'une expérience spirituelle survenue sur la route de Jérusalem à Damas, a joué un rôle décisif dans l'expansion de la religion nouvelle.
L'apôtre s'est entouré de nombreux collaborateurs, il met en place des institutions stables dans les Églises qu'il a fondées. Pour aider ces multiples communautés à résoudre les problèmes qu'elles rencontraient, il s'est adressé à elles par écrit : telle est l'origine des lettres de Paul.
De 52 à 67, c'est-à-dire durant les quinze ans qui séparent sa première lettre et son martyre à Rome, Paul multiplie ses écrits, dont seulement une partie a été conservée. En dehors de la Lettre à Philémon, aucune ne ressemble aux lettres privées que l'Antiquité romaine a léguées à la postérité par milliers. Il est possible que les trois dernières lettres, dites «pastorales» (les deux Lettres à Timothée et à Tite), soient des pseudépigraphes. Les lettres de Paul sont plutôt des prédications qui s'adressent à des cercles assez larges et abordent des sujets de doctrine et de morale chrétiennes. Pour la plupart, elles sont écrites à des Églises particulières (Églises de Rome, de Galatie, de Corinthe, etc.). Mais cette correspondance privée est très vite devenue une référence pour l'Église tout entière. D'après la deuxième lettre de Pierre (II Pierre III, 15-16), elles faisaient déjà autorité à la fin du Ier siècle. Les lettres de Paul seront souvent à l'origine de crises et de renouveaux dans l'histoire de l'Église. Ainsi, c'est en lisant la Lettre aux Romains que Luther prendra conscience de l'importance de la foi par rapport aux «oeuvres».
Le livre de l'ApocalypseL'Apocalypse est le dernier livre du Nouveau Testament. Il fut sans doute écrit par saint Jean l'Évangéliste – vers 95 lors de son exil sur l'île de Patmos pendant la sanglante persécution ordonnée par Domitien – pour ranimer la foi des chrétiens d'Asie, terrifiés par les massacres dont ils faisient l'objet. Ce livre d'interprétation ésotérique eut une influence considérable sur l'art du Moyen Âge. L'Apocalypse fut souvent représentée aux tympans des églises.
Les ApocryphesCes livres écrits dès le Ier s, imitent les Écritures. Ils sont nés de la piété populaire désireuse d'en savoir plus sur la vie et l'entourage du Christ (cycle de l'enfance du Christ) mais aussi sur les apôtres. Ils ont été composés dans un but d'édification. Leur authenticité ayant été mise en doute, l'Église les rejeta. Le canon catholique inclut certains livres, appelés deutérocanoniques (livre de la Sagesse ou livres des Maccabées ) que rejette le canon protestant.
Les manuscritsAlors qu'on a recensé au total environ 15’000 variantes dans les manuscrits de l'Ancien Testament, il en existe plus de 50’000 pour le Nouveau. Deux raisons expliquent cette différence : la fidélité admirable des scribes hébreux dans leur transmission du texte, et le nombre limité des manuscrits pour la Bible hébraïque. Jusqu'au XXe siècle, les manuscrits hébreux des Xe et XIe siècle apr. J.-C. étaient quasi inexistants. Avant cette période, il n'existait aucun témoin. Par bonheur, les découvertes des manuscrits de la mer Morte ont permis à la critique de l'Ancien Testament de faire un saut de 1 000 ans. En effet, on a découvert des textes bibliques antérieurs à l'ère chrétienne. Le document le plus impressionnant est un rouleau complet d'Isaïe, daté du Ier siècle av. J.-C., qui comporte quelques différences avec nos manuscrits, mais rarement significatives. Tous les originaux de la Bible sont évidemment perdus et, pendant des siècles, le livre a été recopié manuellement (avec les inévitables risques d'erreurs).
Du Nouveau Testament, nous disposons de plus de 50 000 manuscrits, sans compter les centaines de copies des traductions anciennes, les quelque 8 000 copies de la Vulgate – la traduction latine la plus connue depuis le haut Moyen Âge – et les nombreuses citations chez les Pères de l'Église. Il n'existe pas deux manuscrits identiques.
Le texte du Nouveau Testament nous est parvenu à travers des papyrus (85 environ), des parchemins anciens appelés « majuscules » (268) et près de 2 800 parchemins plus récents dits «minuscules» (ces noms viennent de l'usage de lettres majuscules ou minuscules) ainsi que 2 193 lectionnaires, destinés à être lus à la messe. La plupart de ces manuscrits ne contiennent que des fragments ; c'est le cas de tous les papyrus. Quelques-uns datent du IIe siècle apr. J.-C., le plus ancien étant daté de 120. Parmi les manuscrits, plus de 50 contiennent la totalité du Nouveau Testament. Quatre parchemins majuscules des IVe et Ve siècles contenaient à l'origine toute la Bible grecque. Le plus célèbre est le Vaticanus, à partir duquel la plupart des traductions sont établies. La transmission des textes bibliques est donc d'une qualité supérieure. Pour l'ensemble de la littérature profane de l'Antiquité, il faut attendre le Xe siècle pour trouver les premiers manuscrits. Pour la Bible hébraïque, il existe des témoins antérieurs au Ier siècle av. J.-C., et pour le Nouveau Testament, des copies du IIe siècle ap. J.-C.
Les traductionsLa Bible complète (Ancien et Nouveau Testament) a été traduite en 310 langues ; le Nouveau Testament en 695 langues ; la Bible, sous forme de morceaux choisis, en 902 langues. En Afrique, il existe 119 traductions intégrales et 424 traductions du Nouveau Testament. L'Asie compte 476 traductions dont 93 intégrales, l'Europe, 187 traductions dont 58 intégrales. Ce phénomène se poursuit encore aujourd'hui : ainsi, en 1988 - 1989, 23 traductions nouvelles étaient apparues dont 7 complètes (en Ethiopie, au Kenya, au Malawi, en Namibie, en Indonésie et au Pérou).
Cette pratique est ancienne puisque dès le IIIe siècle av. J.-C. les Juifs d'Alexandrie ont pour la première fois osé quitter la langue sacrée pour d'autres univers linguistiques en traduisant la Bible en grec. Au cours du IIe siècle apr. J.-C., trois autres traductions grecques de la Bible hébraïque seront réalisées par des Juifs. Il existe aussi une traduction de la Bible hébraïque en syriaque. Les chrétiens auront tendance à utiliser la version grecque dite des Septante : beaucoup dans les premiers siècles oublieront les originaux hébreux. Ce sera le mérite de saint Jérôme, à partir de l'an 389, de se laisser saisir parce qu'il appelait «la vérité hébraïque» et d'entreprendre la traduction latine directement à partir de l'hébreu. Il poursuivit son entreprise en proposant une nouvelle version latine qui corrigeait les précédentes. L'ensemble, appelé Vulgate, s'imposera comme la référence obligée pour tous les chrétiens d'Occident jusqu'au XVIe siècle, et pour les catholiques jusqu'au XXe siècle.
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Par lutherien le 30 Novembre 2009 à 07:36
La naissance du christianisme
L'une des principales religions du monde, le christianisme, professe, comme le judaïsme et l'islam, la foi en un Dieu unique. Par cette référence, il cherche à investir la vie humaine de valeurs et offre un salut. Il constitue une religion révélée à la fois dans les Ecritures et dans la personne de Jésus-Christ.L'activité de Jésus - prophète et réformateur religieux qui prêche de l'an 27 à l'an 30 de notre ère en Palestine - marque le début du christianisme. A cette époque, la Palestine appartient à Rome et se distingue par sa religion, le judaïsme, qui a un statut particulier dans l'Empire en raison de sa foi en un Dieu unique (monothéisme). L'occupation étrangère est fortement ressentie dans le pays, où le pouvoir politique local est de plus en plus amoindri et partagé.
Les fils d'Hérode, le dernier roi juif, lui-même inféodé à Rome, sont sous le contrôle d'un préfet romain dépendant du légat de la province de Syrie. Les impôts sont lourds et la déstabilisation sociale et politique s'accompagne d'une agitation religieuse. Le judaïsme est partagé en plusieurs courants, mais les pratiques religieuses et le rôle du Temple de Jérusalem sont des éléments communs aux courants dominants.
Après les conquêtes d' Alexandre au IV e siècle av. J.-C., la rencontre des mondes grec et oriental a produit une culture qui est devenue celle de tout le Bassin méditerranéen: l'hellénisme fut adopté avec sa langue (le grec) par l'Empire romain. Mais sa visée assimilatrice et les compromissions religieuses et politiques avec le pouvoir dominant provoquent des mouvements de protestation à l'intérieur du judaïsme, qui s'appuient souvent sur l'attente fébrile d'un messie envoyé par Dieu pour rétablir la justice et la paix.
Les courants de renouveau du judaïsme sont multiples. Ils peuvent être teintés de nationalisme (comme le mouvement zélote) ou axés sur la protestation religieuse (comme le mouvement des esséniens, vivant en communautés dans le désert). L'un d'eux est celui de Jean le Baptiste, qui prêche et baptise loin des centres importants. Son baptême assume le rôle (pardon des péchés) que le judaïsme orthodoxe attribue aux sacrifices offerts dans le Temple de Jérusalem.
L'activité de Jésus et le judaïsme
Jésus, à la suite de Jean-Baptiste, annonce la venue imminente du règne et du jugement de Dieu. Comme lui, il annonce le règne de Dieu. Mais il se sépare du Baptiste en ceci qu'il insiste sur l'amour plus que sur la colère de Dieu.Le témoignage principal sur la vie historique de Jésus, qui était de Nazareth, en Galilée, où il commença son ministère, est celui des Evangiles. Or ces livres ne sont pas des biographies, mais des interprétations de sa vie dans une perspective catéchétique. Néanmoins, il est établi avec une relative certitude que Jésus a été un prédicateur itinérant, qui a réuni des disciples autour de lui, enseigné et opéré des guérisons. Il a voulu susciter une réforme du judaïsme en annonçant la proximité de Dieu, en proposant une autre manière de comprendre sa volonté que celle offerte par la Loi juive et en désacralisant l'institution du Temple. Sur ces deux derniers points il a suscité l'opposition des chefs religieux, ce qui a conduit à son exécution sous la forme du supplice romain de la croix. Après sa mort, ses disciples se sont réunis autour de la foi en sa résurrection, qui l'authentifie comme le véritable envoyé de Dieu. Ainsi naît le mouvement de Jésus, qui est, à son origine, un mouvement de renouveau à l'intérieur du judaïsme.
Les disciples de Jésus se regroupent d'abord à Jérusalem, où ils annoncent l'Evangile, la «bonne nouvelle» que Dieu s'est manifesté dans la personne de Jésus: le Messie (ou Christ) attendu. Parmi ceux qui s'intègrent à leur groupe se trouvent des Juifs qui ont vécu à l'extérieur de la Palestine et qui sont ouverts à la culture grecque et à son universalisme. Les disciples de Jésus venant de ce judaïsme hellénistique sont plus critiques à l'égard des institutions juives que ceux venant du judaïsme palestinien.
Les Juifs hellénisants provoquent des affrontements avec les chefs religieux et sont persécutés. Obligés de fuir, ils transmettent le contenu de la prédication de Jésus aux marges de la Palestine, en particulier dans des villes où les populations sont très mêlées, notamment à Antioche (Syrie), où se trouvent une diaspora juive et des adeptes de diverses religions orientales. Des non-Juifs sont convaincus par leur prédication et constituent avec des Juifs un groupe de disciples du Christ Jésus.
Le mouvement de Jésus dépasse alors les frontières du judaïsme. Il accepte, en effet, des membres qui n'appartiennent pas au peuple de Dieu, ne portent pas la marque de leur appartenance au peuple juif (la circoncision) et n'obéissent pas aux réglementations juives (par exemple, sur le pur et l'impur). A Antioche, on donne aux adeptes de Jésus, le Christ, le nom de chrétiens. La rupture est consommée, le christianisme est né.
Les premières communautés chrétiennes
Si la foi en la résurrection de Jésus, l'homme de Nazareth crucifié par les Romains mais toujours vivant et présent parmi les hommes, est au fondement du christianisme, la signification de cette présence ainsi que le sens de la vie et de la mission de Jésus donnent lieu, dès l'origine, à des interprétations diverses.Pour les adeptes de l'un des courants du christianisme primitif, qui se retrouvent pour la prière, le baptême des fidèles et le repas commun, Jésus est avant tout le Messie annoncé, dont on attend le retour. Pour ceux d'un courant proche, la foi chrétienne est avant tout une obéissance nouvelle, une fidélité au message de Jésus et à sa réinterprétation de la Loi juive. Différent des deux précédents, un autre courant, dont le centre est Jérusalem, voit en Jésus le Juge de la fin des temps, qui envoie son Esprit à ses disciples. Quittant famille et biens, ceux-ci deviennent des prédicateurs itinérants; vivant dans l'attente de la fin du monde et pratiquant des actes de guérison, ils évangélisent la Palestine et la Syrie. Pour leur part, les chrétiens issus du judaïsme hellénistique orientent leur prédication vers les milieux non juifs. D'Antioche, leur quartier général, ils partent en mission pour porter en Méditerranée orientale leur confession de foi, qui donne la priorité à la croix et à la résurrection de Jésus pour le salut des hommes. Un dernier courant, mal connu, est celui du mouvement johannique, qui débute sans doute en Asie Mineure.
Chacun de ces courants a ses personnages emblématiques. Dans le cercle relativement large de disciples (hommes et femmes) qui entoure Jésus, notamment dans le groupe des Douze choisis comme apôtres («envoyés»), c'est Pierre qui se détache. Après la mort de Jésus, ses proches acquièrent aussi de l'influence: Jacques deviendra le chef de la communauté de Jérusalem après le départ de Pierre pour Rome. Les hellénistes sont représentés par Paul. Avec Pierre, il est l'une des deux grandes figures des origines.
De la campagne palestinienne aux villes de l'Empire
La prédication de Jésus lui-même atteint un monde palestinien encore très paysan. Puis le mouvement de Jésus s'étend à la Syrie-Palestine et à ses villes. Le christianisme naissant dépasse vite les frontières de religion et d'origine nationale, profitant de ce qui fait la force de l'Empire romain: ses routes terrestres et maritimes de la Méditerranée, sa langue de culture et d'administration. Il se propage dans les vastes marchés de biens culturels et religieux que sont les villes. La prédication chrétienne y bénéficie de l'attrait qu'exercent le monothéisme juif et la haute qualité de sa morale.Dans les grandes villes de l'Empire, où vivent des communautés juives, les missionnaires proposent d'abord leur message dans le cadre des synagogues. Les sympathisants du judaïsme (appelés les «craignant Dieu») sont attirés par cette prédication qui rompt avec un particularisme de type national. Mais l'insuccès du christianisme auprès des Juifs eux-mêmes fait que la nouvelle religion se répand de plus en plus dans un contexte où elle est confrontée aux modes de pensée religieux et philosophiques du monde hellénisé.
Fort abondantes au I er siècle, les religions de salut provenant de l'Orient offrent une expérience mystique et un espoir dans l'au-delà à ceux qui s'y initient, tout en restant tolérantes entre elles. Le christianisme, qui se trouve dans une situation de concurrence religieuse intense, se démarque par le fait qu'il propose un salut faisant l'objet d'une annonce publique (donc non réservé à des initiés) et qu'il refuse toute coexistence avec d'autres religions, toute forme de syncrétisme.
L'Empire romain laisse libre cours à cette profusion de religions, mais il impose une idéologie unitaire, qui est le culte de l'empereur. Dans ce contexte syncrétiste où un nouveau culte peut s'ajouter à un autre, le judaïsme - affirmant qu'il y a un seul Dieu, l'unique objet de l'adoration humaine - observe un monothéisme strict et bénéficie d'une reconnaissance de cette conception particulière. Les chrétiens, également monothéistes, bénéficient d'abord du même statut que les Juifs, dispensés par la loi romaine du culte de l'empereur. Mais lorsque leur appartenance à une autre religion apparaît clairement, ils se trouvent fragilisés. De la seconde moitié du Ier siècle au IIe siècle, ils subissent de la part du pouvoir impérial des persécutions ponctuelles, puis de plus en plus fréquentes et systématiques au IIIe siècle et au début du IV e siècle.
Des communautés disparates
L'expansion du christianisme s'organise autour de deux pôles: les prédicateurs itinérants et les groupes de sympathisants sédentaires que les premiers laissent après leur passage. Peu à peu se constituent des communautés locales qui prennent le nom d'Eglise (ecclesia, «assemblée convoquée», une institution typique de la cité grecque). Le terme va prendre une double signification: celle du groupe de croyants qui se rassemblent en un lieu donné, et celle de l'ensemble des croyants qui, dans leur totalité, constituent l'Eglise du Christ. Ne possédant pas de bâtiment propre, les Eglises réunissent dans des maisons particulières des gens d'origine sociale très variée (esclaves, hommes libres, classes montantes, petit peuple), à l'image des groupes qui entouraient Jésus en Palestine.Ces communautés sont le plus souvent composées de chrétiens d'origine païenne (pagano-chrétiens) et de chrétiens d'origine juive (judéo-chrétiens) ou provenant de cercles proches. Cette disparité ne tarde pas à créer des problèmes: les chrétiens d'origine juive, attachés à leur identité et à leur appartenance au peuple choisi par Dieu, sont réticents à prendre les repas, en particulier l'eucharistie (le partage du pain et du vin, par lequel se constitue la communion des croyants et leur lien avec Dieu) en commun avec les chrétiens d'origine païenne, qui ignorent leurs préceptes alimentaires. Très tôt se pose la question de savoir s'il faut passer par le judaïsme pour pouvoir bénéficier de l'Evangile du Christ Jésus, s'il faut s'intégrer d'abord au peuple de Dieu par la marque d'appartenance de la circoncision et la pratique des réglementations juives pour bénéficer de la grâce (pardon gratuit) de Dieu. La conviction de l'apôtre Paul, le principal artisan de l'ouverture sans condition de l'Evangile aux païens, l'a emporté, non sans avoir entraîné des débats et des conflits.
Les Ecritures chrétiennes
Les textes religieux de référence des premiers adeptes de Jésus sont ceux du judaïsme: les livres qu'ils ont appelés ensuite l'Ancien Testament, dans lequel ils puisent des éléments qui, à leurs yeux, annoncent la venue de Jésus-Christ et révèlent le sens de sa mission. Mais ces textes ne leur permettent pas de se situer par rapport à la société et aux religions d'origine, ou de régler les divergences à l'intérieur des communautés et entre les prédicateurs itinérants.Pour aider les Eglises, l'apôtre Paul rédige, entre 50 et 60 après J.-C., un certain nombre de lettres qui, rassemblées, forment un recueil, dont chaque communauté peut avoir un exemplaire. Ces lettres et les Evangiles, composés entre 70 et la fin du Ier siècle, sont utilisés pour la catéchèse (enseignement) et les lectures au cours des assemblées. La production d'écrits chrétiens continue tout au long du IIe siècle pour ne plus tarir.
Vers le milieu du II e siècle apparaît la nécessité d'établir une sélection parmi les écrits pour conserver une fidélité à l'origine en même temps qu'un lien entre les Eglises qui occupent un espace de plus en plus vaste, ce qui favorise le développement de traditions indépendantes. Au milieu du IV e siècle, une liste unique est fixée: elle contient les écrits qui forment le Nouveau Testament.
Dieu: Père, Fils et Saint-Esprit
Les premières communautés chrétiennes donnent de nombreux titres à Jésus, dont les plus importants sont «Seigneur», «Fils de Dieu» et «Christ». Pour les chrétiens d'origine païenne, le titre de Christ n'était pas chargé du même sens que dans le monde juif; il a très vite pris une valeur propre et, joint à Jésus, a formé un nom double. Dans l'appellation de Jésus-Christ, Jésus renvoie à la vie et à la mort de l'homme de Nazareth, et Christ à la mission et à la dignité particulières reconnues à Jésus dans la foi en sa résurrection. La relation entre Dieu et Jésus-Christ constitue l'originalité de la foi chrétienne.Jésus-Christ est celui qui révèle de façon particulière la volonté et l'œuvre de salut de Dieu. Dans les textes de l'Ancien Testament, Dieu est le créateur du monde, celui qui nomme et fait exister les êtres et les choses, qui permet la vie en manifestant des exigences à l'égard des hommes. Ce Dieu est aussi un Dieu de dialogue, un Dieu personnel, dont l'histoire se confond avec celle de l'humanité. Pour la théologie chrétienne, l'être humain n'a accès à Dieu que par Jésus-Christ, qui en est la face livrée au monde. La relation unique et profonde de Dieu et du Christ se traduit dans les termes de Père et de Fils.
Dieu un en trois personnes
Après la mort de Jésus, la foi en sa résurrection affirme la victoire de Dieu sur la mort comme un don de vie malgré la mort et au-delà d'elle, en même temps qu'elle garantit une autre forme de présence de Jésus-Christ. Celle-ci se manifeste en particulier par le Saint-Esprit, qui est à la fois un consolateur et un soutien. Il remet en mémoire et permet de comprendre les paroles du Christ, et inspire ainsi la vie des croyants. Les diverses modalités de la présence de Dieu et de sa relation avec l'homme ont été l'objet d'une intense réflexion dans les Eglises primitives.Les débats ont d'abord porté sur la christologie: il s'agissait d'expliquer comment Jésus-Christ peut être à la fois homme et Dieu, et comment le Dieu unique peut être à la fois Père, Fils et Saint-Esprit. Les credo anciens, comme le symbole des Apôtres (III e siècle), ont essayé de fixer les grandes lignes de la foi en développant la relation entre Dieu et Jésus-Christ. Mais des dissensions eurent vite lieu et, lorsque le christianisme devint la religion de l'Empire au début du IV e siècle, les empereurs convoquèrent des conciles dits «œcuméniques», chargés de formuler les dogmes de l'Eglise dans son universalité. La doctrine trinitaire - qui affirme que Dieu est un en trois personnes - est un de ces dogmes reconnus par toutes les Eglises. Elle ne se trouve pas exprimée comme telle dans le Nouveau Testament, mais s'appuie sur son témoignage. La Trinité indique que Dieu est en lui-même une structure de dialogue et qu'il renferme un mystère et une liberté.
Suivant leurs sensibilités religieuses et leur histoire propre, les Eglises chrétiennes accordent une fonction et une place différentes aux manifestations de Dieu. Cela est vrai en particulier pour le Saint-Esprit. Mais elles s'appuient toutes sur les définitions des premiers grands conciles des IV e et V e siècles.
Les Eglises chrétiennes dans l'histoire
La vie des Eglises locales prend corps dans le culte, l'enseignement, l'évangélisation et les œuvres de solidarité. Très tôt, les cultes chrétiens sont célébrés le dimanche, jour de la résurrection du Christ. Ils comportent une liturgie (une confession de foi et des chants) et la lecture de textes bibliques, suivie éventuellement de commentaires. Le baptême, qui marque l'entrée dans l'Eglise, et l'eucharistie (appelée aussi Sainte Cène), qui célèbre l'union des chrétiens avec Jésus-Christ, sont les deux sacrements pratiqués dans les Eglises primitives et communs à toutes les Eglises chrétiennes. Un sacrement manifeste le don de Dieu, alors que les sacrifices sont des dons offerts par les hommes à la divinité.Pour vivre dans la durée, les Eglises reconnaissent en leur sein des services particuliers appelés ministères. Au début du christianisme, ces ministères sont peu institués et varient d'une communauté à l'autre. Le Nouveau Testament fait état de ministères de la parole (docteurs et prophètes), de ministères d'ordre et de gouvernement (anciens et épiscopes) et de ministères d'assistance (diacres).
L'organisation des Eglises
Malgré les persécutions, le christianisme connaît un essor rapide au Ier et au IIe siècle et s'étend vers la partie occidentale de l'Empire, où l'on parle latin. La multiplication des Eglises et l'éloignement de la période des premiers témoins (les Apôtres) conduisent à une organisation dépassant l'échelon local. Il s'agit de conserver la foi des origines dans une unité visible. Les Eglises locales ont désormais à leur tête un seul évêque, qui a autorité sur les prêtres. Certains sièges épiscopaux sont placés au-dessus des autres, mais dès le Ier siècle le siège romain a primauté sur tous. L'évêque est considéré comme un père («papa»), qui va donner le titre réservé à l'évêque de Rome (pape). L'organisation des Eglises se modèle sur l'organisation politique, administrative et économique de la société, surtout en Occident, qui hérite du juridisme latin.Les Eglises et le pouvoir politique
L'Empire romain, avec ses deux pôles - l'occidental et l'oriental -, connaît des failles dès le IIIe siècle. L'empereur Constantin autorise l'exercice du culte chrétien en 313. Le christianisme sera constitué en religion officielle à la fin du IV e siècle. Après la disparition de l'empire d'Occident, en 476, l'Eglise latine s'affranchit de la tutelle de Constantinople et supplée dans bien des cas le pouvoir politique qui se désagrège. Au X e siècle, la christianisation de l'Europe est achevée. Le pape devient le personnage principal d'Occident, ajoutant un pouvoir temporel à son pouvoir spirituel. En Orient, en revanche, l'Eglise grecque dépend le plus souvent de l'empereur.Apparu dès la constitution des Eglises, le monachisme prend au début la forme du départ au désert (ermites), puis celle de la vie communautaire (cénobites). Alors que pendant la longue période de relations ambiguës avec le pouvoir, les Eglises se sont substituées à l'Etat défaillant (éducation, santé), les ordres monastiques ont joué un rôle important dans l'élaboration des civilisations orientales et occidentales.
Les séparations en branches différentes
Après la fin de l'empire d'Occident, l'Orient et l'Occident ont des échanges de plus en plus rares, et les divergences culturelles et spirituelles s'accentuent. Les littératures chrétiennes, en grec d'un côté, en latin de l'autre, se développent séparément. L'Orient, qui vit sous une unité politique (l'Empire perdure jusqu'au milieu du XV e siècle), est moins centralisateur au point de vue ecclésiastique que l'Occident. Les quatre sièges épiscopaux d'Orient, ou patriarcats, sont représentés par le patriarche de Constantinople; ils reconnaissent une primauté d'honneur à l'évêque de Rome.Mais une rivalité d'influence s'installe entre Rome et Constantinople. De plus, les Orientaux reprochent aux Latins d'introduire des nouveautés non justifiées (usage de l'hostie, jeûnes, célibat des prêtres). La crise la plus grave concerne le dogme de la Trinité. Au VI e siècle, à la formule «le Saint-Esprit procède du Père», un concile ajoute «et du Fils». Aux yeux des Orientaux, c'est donner à l'Esprit un rôle secondaire et rompre l'équilibre de la Trinité. A la fin du IX e siècle, il apparaît un désaccord d'ordre institutionnel, lorsque la papauté devient l'autorité centralisatrice des Eglises chrétiennes. La rupture, qui était en germe depuis longtemps, se concrétise en 1054, lorsque le pape Léon IX excommunie le patriarche de Constantinople et que celui-ci lui réplique de façon semblable. L'Eglise d'Orient prend alors le nom d'Eglise orthodoxe.
La Réforme européenne
Au XVI e siècle, avec la Renaissance, l'humanisme, des inventions comme l'imprimerie, et la découverte de l'Amérique, un désir de changement se manifeste à l'égard de l'Eglise d'Occident, ou Eglise romaine, marquée par les ambitions temporelles de la papauté, le luxe du haut clergé et l'ignorance dans laquelle est maintenu le peuple. Après son excommunication en 1520, le moine allemand Martin Luther organise la Réforme sous la protection du prince de Saxe. Des mouvements parallèles naissent en Suisse et en France, avec Zwingli, puis Calvin. Malgré leurs vues communes sur la place de la Bible, le salut gratuit et le rôle des laïcs, les réformateurs ne fondent pas une Eglise unie face à l'Eglise romaine.
Les confessions chrétiennes
A partir du XVI e siècle, le christianisme connaît donc trois grandes branches: le catholicisme, l'orthodoxie et le protestantisme. Chacune des confessions s'est développée en relation avec une culture qu'elle a fécondée: le catholicisme et le protestantisme ont marqué la culture occidentale; l'orthodoxie, le monde oriental et l'Europe de l'Est.Le catholicisme
L'Eglise, qui avait son centre à Rome et a retenu le terme de catholique (en grec, «universel») dès le IV e siècle, au concile de Nicée (325), est dotée d'une organisation centralisée et hiérarchisée. Le pouvoir y est exercé par le pape et les conciles œcuméniques. Le pape, à Rome, constitue l'unité visible de l'Eglise. La médiation entre Dieu et les fidèles est assurée par les autorités religieuses, qui transmettent et gèrent le salut offert aux êtres humains dans plusieurs domaines, notamment celui de l'enseignement et celui de la distribution de la grâce. Un autre élément de médiation est la messe, conçue comme un sacrifice où se renouvelle le don de Jésus-Christ sur la croix dans le sacrement de l'eucharistie. Les sacrements, au nombre de sept, nécessaires à la réception de la grâce, sont dispensés par les prêtres. Une autre médiation apparaît dans le culte de la Vierge Marie et dans celui des saints.L'orthodoxie
Le contenu de la foi y remonte à la formulation des premiers siècles. L'orthodoxie («l'opinion ou la foi droite», en grec) s'en tient en effet aux dogmes définis par les huit premiers conciles œcuméniques. Fidèle aux origines, elle se caractérise par une relation de collégialité entre les Eglises, qui sont autocéphales et élisent leurs propres chefs. Le patriarche de Constantinople (aujourd'hui Istanbul) conserve une primauté d'honneur: il convoque des conférences panorthodoxes, placées sous le signe d'interdépendance des Eglises. Les prêtres orthodoxes (mais non les moines) peuvent se marier.Le protestantisme
Le terme de protestant se réfère à un événement historique: en 1529, les princes allemands favorables à la Réforme protestèrent contre l'attitude de Charles Quint, qui exigeait la soumission de tous à Rome. Le protestantisme connaît un grand morcellement ecclésiastique, conséquence de son choix en faveur de la liberté de conscience. Les Eglises protestantes ont en commun leur conception de l'Eglise, le refus de médiations dans la gestion de la grâce, et l'affirmation de la responsabilité personnelle dans les choix éthiques. L'organisation ecclésiastique est l'affaire des communautés, qui se donnent des règles communes sur des bases démocratiques. Le culte protestant se caractérise par l'importance donnée à la parole (prédication) et par l'administration de deux sacrements: le baptême et la Cène. Les pasteurs sont mariés et, dans la quasi-totalité des Eglises, les femmes ont accès aux ministères. Le face-à-face de l'homme avec Dieu supprime toutes les autres médiations, en particulier celle d'une hiérarchie et d'un clergé.
Le christianisme à la fin du XXe siècle
Après que le christianisme fut devenu la religion officielle de l'Empire gréco-romain, des régimes de chrétienté se sont établis autour du Bassin méditerranéen et dans le monde slave. Ainsi, pendant le Moyen Age européen, l'Eglise catholique était le ciment de la société, également organisée hiérarchiquement, avec à sa tête le roi, représentant de Dieu sur terre. La religion est alors la source de la morale, la garante de l'ordre.Quant à la théologie - la première science -, elle délimite le champ du savoir et tente de le contrôler. Des brèches s'opèrent dès le XIII e siècle, qui s'élargissent à la Renaissance jusqu'à fracturer le système au moment de la Réforme.
Au XVIII e siècle, le mouvement des Lumières accélère le processus. La raison humaine, affranchie de la tutelle religieuse, va désormais explorer tous les domaines de la réalité. Un état d'esprit nouveau s'installe en Occident, entraînant une libéralisation des mœurs et une réforme des institutions. Le catholicisme y résiste de manière frontale, alors que le protestantisme intègre davantage les transformations de la pensée et de la vie socio-économique. Le mouvement des Lumières, dont certains aspects étaient contenus en germe dans le christianisme, est dirigé en grande partie contre les Eglises.
Au XIX e siècle, la confrontation continue et s'accentue avec l'apparition d'un athéisme critique qui élabore de nouveaux systèmes d'analyse du monde et de l'homme.
La religion ne fait plus la loi à la science et devient elle-même objet de science. Au XX e siècle, les sociétés européennes sont sécularisées et connaissent toutes un processus de laïcisation. La sécularisation atteint la culture, alors que la laïcisation concerne les institutions, mais les deux phénomènes s'influencent mutuellement. Par ailleurs, la sécularisation produit aussi un changement à l'intérieur des Eglises (concile Vatican II).
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