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Par lutherien le 9 Août 2010 à 10:23
Avant-propos
Les textes ci-dessous sont des extraits du cours de dogmatique sur la Création que j'ai enseigné à Châtenay-Malabry dans les années 1980. Ils analysent le récit biblique de la création (Genèse 1 et 2), en dégagent le riche et merveilleux enseignement, puis le confrontent aux théories scientifiques concernant l'origine de l'univers, du système solaire, de la vie et plus particulièrement de l'homme. Il s'agit essentiellement de l'évolutionnisme tel que le concevait Charles Darwin et tel qu'il est présenté dans le monde scientifique actuel, sachant que le darwinisme proprement dit est une théorie dont les savants d'aujourd'hui ont rejeté le principe fondamental selon lequel les êtres vivants évoluent parce qu'ils doivent s'adapter à leur environnement. Mais ils n'ont pas pour autant rejeté l'évolutionnisme proprement dit, c'est-à-dire la conviction qu'après un big-bang originel, la vie a fini par surgir toute seule il y a de cela plusieurs milliards d'années, qu'elle a évolué et s'est diversifiée pour constituer la flore et la faune actuelles. Y a-t-il une autre alternative que souscrire à l'évolutionnisme quand, pour reprendre l'expression de Laplace, on fait abstraction de « l'hypothèse Dieu » ?
Souscrire à l'évolutionnisme, c'est accepter l'idée que le hasard (et lui seul, dans l'esprit de la plupart des scientifiques) a généré d'innombrables mutations permettant le surgissement des espèces actuelles. L'évolutionnisme est la seule explication qu'on pense pouvoir donner à l'univers et à tout ce qui le peuple, quand on fait abstraction de ce que Laplace, s'entretenant avec Napoléon Bonaparte, appelait « l'hypothèse Dieu ». Pourtant, il est mathématiquement parlant insoutenable. Même en attribuant à l'univers des milliards et des milliards d'années, on ne pourra jamais expliquer que des mutations dues au seul hasard aient pu faire surgir l'immense cosmos, et dans le cosmos cette merveille d'harmonie et de beauté qu'est la terre, et sur cette terre une flore et une faune d'une richesse et d'une splendeur à vous couper le souffle. Ce qui ne signifie pas pour autant que l'univers n'est âgé que de 6, 8 ou 10.000 ans, comme l'affirment certains « créationnistes américains » qui estiment qu'il n'existe qu'une lecture de la Bible, la leur !
Voici le plan de cet extrait de cours :
J'esquisse ici, avec mes moyens, modestes en théologie et insignifiants en sciences (quoique résultant de très nombreuses lectures en la matière), une confrontation entre ce que la Bible révèle de la création du monde et ce que les scientifiques en disent. Je rends tout particulièrement attentif au chapitre intitulé « Les Impasses de l'Évolutionnisme » qui s'efforce de montrer qu'il faut beaucoup de « foi » pour être évolutionniste, plus en tout cas qu'il n'en faut pour croire que l'univers tout entier est l'œuvre d'un Créateur tout-puissant.
Le temps m'a manqué pour procéder à une mise à jour de ce cours en tenant compte des ouvrages qui ont pu paraître ces 30 dernières années. Le concept d'« intelligent design » est d'une facture relativement récente et ne paraît donc pas dans ces lignes. Je n'entre pas non plus dans un débat avec un mouvement qui depuis un certain temps fait beaucoup parler de lui. Il été a initié aux Etats-Unis par des milieux chrétiens fondamentalistes avec lesquels je ne m'identifie pas personnellement, et cela pour de nombreuses raisons qui dépassent de loin le cadre de la création. Il me semble aussi qu'il dessert la cause de l'Evangile beaucoup plus qu'il ne la défend et ne la promeut à travers le monde.
W. Kreiss
LA
CRÉATION
La création n'est pas révélée dans l'Ecriture Sainte comme une solution philosophique au problème des origines du monde, mais dans sa signification religieuse. Elle est révélation de la relation entre Dieu et l'homme: Dieu est à l'origine de toutes choses. Tout lui appartient et lui est soumis.
Contrairement à la philosophie grecque qui affirmait l'éternité de la matière, l'Eglise chrétienne a de tout temps confessé la création « ex nihilo », c'est-à-dire à partir de rien, non pas par un processus d'émanation (panthéisme), mais comme un libre acte de Dieu. C'était l'enseignement de Justin Martyr, Irénée, Tertullien, Clément d'Alexandrie, Origène, etc. Ces deux derniers Pères pensaient même qu'elle était un acte unique et indivisible, et que le récit des six jours était une pièce littéraire scindant cet acte en éléments successifs selon leur importance ou leur lien logique. Saint Augustin pensait, lui aussi, que le récit de la création était conçu en fonction de l'intelligence limitée de l'homme.
D'une façon générale, le récit biblique était reçu comme une relation authentique des faits, jusqu'à l'avènement du panthéisme et du matérialisme, où de nombreux théologiens s'efforcèrent de l'harmoniser avec le dogme scientifique de l'évolutionnisme.
La création du monde par Dieu est une doctrine constamment révélée dans la Bible, 1) dans le récit de la création (Gen 1 et 2), 2) dans les textes qui proclament la toute‑puissance de Dieu dans la création de l'univers (Es 40:26‑28; Am 4:13), 3) dans ceux qui exaltent Dieu au‑dessus du monde créé (Ps 90:2; 102:26.27; Act 17:24), 4) dans les passages qui confessent la sagesse de Dieu dans la création du monde (Es 40:12‑14; Jér 10:12‑16; Jn 1:3), 5) dans les textes qui font de la création un témoignage rendu à la souveraineté de Dieu (Es 43:7; Rom 1:25), 6) dans ceux qui présentent la création comme une oeuvre fondamentale de Dieu (1 Cor 11:9; Col 1:16), enfin 7) dans ceux qui proclament Dieu Créateur (Néh 9:6; Es 42:5; 45:18; Col 1:16; Apoc 4:11; 10:6; Ps 104).
La création est l'œuvre de Dieu:
"Au commencement, Dieu créa les cieux et la terre" (Gen 1:1).
"Qui a mesuré les eaux dans le creux de sa main, pris les dimensions des cieux avec la paume et ramassé la poussière de la terre dans un tiers de mesure? Qui a pesé les montagnes au crochet et les collines à la balance?" (Es 40:12).
"Ainsi parle l'Eternel, ton Rédempteur, celui qui t'a formé dès ta naissance: Moi, l'Eternel, j'ai fait toutes ces choses, seul j'ai déployé les cieux, seul j'ai étendu la terre" (Es 44:24).
"C'est moi qui ai fait la terre et qui sur elle ai créé l'homme. C'est moi, ce sont mes mains qui ont déployé les cieux, et c'est moi qui ai disposé toute leur armée" (Es 45:12).
Elle le distingue des idoles:
"Tous les dieux des peuples sont des idoles, mais l'Eternel a fait les cieux" (Ps 96:15).
"Eternel des armées, Dieu d'Israël, assis sur les chérubins! C'est toi qui es seul Dieu de tous les royaumes de la terre, c'est toi qui as fait les cieux et la terre" (Es 37:16).
"Les dieux qui n'ont point fait les cieux et la terre disparaîtront de la terre et de dessous les cieux. Il a créé les cieux par sa puissance, il a fondé le monde par sa sagesse, il a étendu les cieux par son intelligence" (Jér 10:11.12).
Elle est l'œuvre à la fois du Père, du Fils et du Saint-Esprit :
"Il n'y a qu'un seul Dieu, le Père, de qui viennent toutes choses (en grec : ex hou ta panta) et pour qui nous sommes, et un seul Seigneur, Jésus‑Christ, par qui sont toutes choses et par qui nous sommes (1 Cor 8:6).
"Eternel des armées, Dieu d'Israël, assis sur les chérubins! C'est toi qui es seul Dieu de tous les royaumes de la terre, c'est toi qui as fait les cieux et la terre" (Es 37:16).
"O profondeur de la richesse, de la sagesse et de la science de Dieu! Que ses jugements sont insondables et ses voies incompréhensibles! Car qui a connu la pensée du Seigneur, ou qui a été son conseiller? Qui lui a donné le premier, pour qu'il ait à recevoir en retour? C'est de lui, par lui et pour lui que sont toutes choses. A lui la gloire dans tous les siècles! Amen!" (Rom 11:33‑36).
"Au commencement était la Parole, et la Parole était avec Dieu et la Parole était Dieu. Elle était au commencement avec Dieu. Toutes choses ont été faites par elle, et rien de ce qui a été fait n'a été fait sans elle" (Jn 1:1‑3).
"Il est l'image du Dieu invisible, le premier‑né de toute la création. Car en lui ont été créées toutes les choses qui sont dans les cieux et sur la terre, les visibles et les invisibles... Tout a été créé par lui et pour lui. Il est avant toutes choses et toutes choses subsistent par lui" (Col 1:15‑17).
"Il n'y a qu'un seul Dieu, le Père, de qui viennent toutes choses et pour qui nous sommes, et un seul Seigneur, Jésus‑Christ, par qui sont toutes choses et par qui nous (1 Cor 8:6).
"Il a dit au Fils...: Toi, Seigneur, tu as au commencement fondé la terre, et les cieux sont l'ouvrage de tes mains. Ils périront, mais tu subsistes. Ils vieilliront tous comme un vêtement, tu les rouleras comme un manteau et ils seront changés. Mais toi, tu restes le même, et tes années ne finiront point" (Héb 1:10.11).
"L'Esprit de Dieu m'a créé, et le souffle du Tout‑Puissant m'anime" (Job 33:4).
Elle est "creatio ex nihilo", création à partir du néant :
"Au commencement, Dieu créa les cieux et la terre" (Gen 1:1).
"Les cieux ont été faits par la parole de l'Eternel, et toute leur armée par le souffle de sa bouche... Il dit, et la chose arrive. Il ordonne, et elle existe" (Ps 33:6.9).
"C'est par la foi que nous reconnaissons que le monde a été formé par la parole de Dieu, en sorte que ce qu'on voit n'a pas été fait de choses" (Héb 11:3).
"Abraham est notre père devant celui auquel il a cru, Dieu, qui donne la vie aux morts et qui appelle les choses qui ne sont point comme si elles étaient" (Rom 4:17).
"Qu'ils louent le nom de l'Eternel! Car il a commandé, et ils ont été créés" (Ps 148:5).
LE BUT DE LA CRÉATION
Dieu n'a pas créé le monde pour lui‑même, car il se suffit à lui‑même et n'a besoin de rien. Certains en ont conclu qu'il l'a créé pour le bonheur de l'homme, pour qu'il puisse y vivre et être heureux. Sans aucun doute. On pourrait cependant demander: Est‑ce un bonheur pour l'homme de vivre? Oui, en tout cas cela l'était avant la chute. Si Dieu a créé le monde tel qu'il est et a déversé sur lui ses bénédictions, c'est bien pour rendre heureux l'homme qui est appelé à vivre ici‑bas. Il veut le bonheur de ses créatures et veut être loué et remercié par elles (Es 43:7; 60:21; 61:3; Ez 36:21.22; 39:7; Lc 2:14; Rom 9:17; 11:36; 1 Cor 15:28; Eph 1:5.6.9.12.14; 3:9.10; Col 1:16). Si le but suprême de la création du monde a été la manifestation de sa gloire, les buts intermédiaires en ont été le bonheur de ses créatures, leurs louanges et leur gratitude.
THÉORIES CONCERNANT LES
ORIGINES DU MONDE
Trois théories ont vu le jour dans les milieux non chrétiens:
1) La théorie dualiste:
Elle postule deux principes, Dieu et la matière, distincts l'un de l'autre et coéternels. Dieu n'est donc pas le Créateur du monde, mais son architecte, celui qui a organisé la matière éternelle. Elle est par définition éternelle, car la matière n'a pas pu être tirée du néant. Cette matière est par ailleurs considérée comme mauvaise, subordonnée à Dieu et l'instrument de sa volonté (Platon, Aristote, gnose, manichéisme). Le mal est conçu généralement comme un principe éternel.
2) La théorie de l'émanation:
Le monde est l'émanation nécessaire de l'Etre divin. Dieu et le monde sont essentiellement un, celui‑ci étant la manifestation phénoménologique de celui‑là (panthéisme). Selon cette théorie, tous les objets sont des modes d'existence perceptible d'une essence auto‑existante, inconsciente et impersonnelle, appelée Dieu, Nature ou l'Absolu. Elle nie l'infinité et la transcendance de Dieu, en l'identifiant au monde. Elle le prive aussi de sa volonté souveraine, en faisant du monde créé l'émanation nécessaire de son être, une nécessité inhérente à son être. Il faut se demander enfin si le panthéisme ne prive pas les créatures rationnelles de leur indépendance relative, de leur liberté et donc de leur responsabilité morale, et si inversement elle ne compromet pas la sainteté de Dieu, en le rendant responsable de tout ce qui se produit ici‑bas, du bien et du mal.
3) La théorie de l'évolution:
L'année 2009 est l'« année Darwin ». A cette occasion, le journal allemand Die Zeit fit paraître le 31 décembre 2008 un article intitulé « Merci, Darwin ! », suivi d'un long exposé sur la théorie de l'évolution. Ce merci concerne le naturaliste anglais Charles Darwin (1809-1882) qui naquit il y a 200 ans et publia en 1859 un ouvrage considéré comme révolutionnaire, De l'Origine des Espèces. Avant lui, le philosophe Emmanuel Kant (1724-1804) avait déjà déclaré avec une assurance et un orgueil dont il aurait sans doute honte aujourd'hui : « Donnez-moi de la matière, et j'en ferai un monde. » Quant au mathématicien et astronome français Laplace (1749-1827), interrogé par Napoléon sur les mystères de l'univers, il lui exposa ses découvertes. A l'empereur qui lui demanda : « Et Dieu dans tout cela ? », il répondit : « Sire, je n'ai pas besoin de l'hypothèse Dieu ! » Ces savants, fondateurs de l'athéisme scientifique, cherchèrent une explication purement scientifique des origines de l'univers et de la vie, une explication faisant abstraction de Dieu. Mais tandis que Darwin formulait ses hypothèses avec modération et modestie, les tenants actuels de l'évolutionnisme s'expriment avec une assurance déconcertante qui frise le dogmatisme, et présentent ce qui n'est en réalité qu'une théorie fondée sur un ensemble d'hypothèses, comme des réalités incontestables qu'il n'est plus question de remettre en question. Quant à leurs collègues qui ne partagent pas leurs vues, ils sont réduits au silence et ont bien du mal à se faire entendre.
Jusqu'au jour où Darwin se rendit sur les îles Galapagos dans l'océan Pacifique (1835), on faisait confiance au philosophe grec Aristote qui estimait que les espèces étaient immuables. Darwin constata que les becs des pinsons qui vivaient sur ces îles avaient différentes formes et en conclut que les espèces peuvent s'adapter à leur milieu et subir ainsi des modifications dans leur anatomie. Il en conclut que toutes les formes de vie existantes ont un tronc commun, qu'elles sont issues d'une forme originelle et se sont diversifiées en s'adaptant progressivement à leur environnement. Quant à l'homme, il n'occupe pas dans la création une place à part, que lui aurait destinée le Créateur, mais est issu du monde animal dont il constitue le produit ultime. Le monde actuel est donc, avec tous les êtres qui l'occupent, y compris les 6.000.000.000 d'hommes qui le peuplent, le résultat d'une évolution progressive de la matière qui, elle, est éternelle ou bien a été créée.
a) L'évolutionnisme areligieux:
C'est la thèse selon laquelle la vie a jailli de la matière éternelle par une sorte de génération spontanée. Il y a à l'origine de l'univers, tel qu'il existe aujourd'hui, une énergie qui ne peut être qu'aveugle, le hasard.
Un hasard qui fait bien les choses! Comment une matière ou énergie aveugle peut‑elle donner naissance à un univers aussi harmonieux, et en particulier à la vie, la personnalité, l'esthétique et l'intelligence de l'homme?
D'autre part, si la matière est éternelle, elle est infinie. Cette infinité est‑elle compatible avec le fait qu'elle est composée d'éléments (atomes, électrons) et qu'elle est constamment sujette au changement?
b) L'évolutionnisme théiste:
C'est un compromis qu'on s'est efforcé de trouver entre l'évolutionnisme et le témoignage de l'Ecriture Sainte. Il y a à l'origine de l'univers une cause première qui opère selon les lois immuables de la nature et, parfois, par une intervention miraculeuse (par exemple, lors de la naissance de la matière, ensuite quand surgit la vie, puis la vie consciente, rationnelle et morale).
Solution de secours incompatible avec l'enseignement de la Bible! Aucune lecture de Gen 1 qui laisse parler le texte ne permet de concilier la Bible et cette théorie. C'est une solution de secours qui fait appel à Dieu pour aider la nature. Elle ne satisfait ni le chrétien biblique ni le savant évolutionniste.
Nous reviendrons plus loin sur la théorie de l'évolutionnisme et signalerons quelques-unes des innombrables questions qu'il soulève et auxquelles il n'apporte pas de réponse. En tout cas, aucune réponse convaincante et donc satisfaisante.
LA CRÉATION DANS LE DÉTAIL
D'autres nations de l'Antiquité avaient leurs récits de la création, récits présentant des ressemblances avec Gen 1 et 2, mais aussi de profondes divergences (dualisme, polythéisme, représentations mythologiques faisant du monde le résultat d'une lutte entre les dieux, etc.). Face à tous ces récits, celui de la Bible s'impose par sa sobriété et sa simplicité.
Le récit biblique ne parle pas du monde invisible, comme les récits païens, mais uniquement du monde matériel dans lequel nous vivons. C'est la première révélation de Dieu, qui définit la place de l'homme dans l'oeuvre de la création. D'où vient‑il? Question controversée, dont l'intérêt fut ravivé par la découverte d'un récit babylonien de la création qu'on peut résumer ainsi: Plusieurs dieux ont été engendrés, dont Mardouk est le chef. Il triompha du dragon Tiamat et devint le créateur du monde. Beaucoup de théologiens ont affirmé que Gen 1 et 2 était tiré du récit babylonien. Citons, par exemple, Gérard Siegwalt: "Genèse 1 est indubitablement influencé par le mythe babylonien de la création. Dans sa forme actuelle, le récit date de la période de l'exil, quand Israël était en captivité à Babylone, au 6° siècle avant J.‑C. Ce fait explique l'influence particulière du mythe babylonien de la création sur notre récit. Mais celui‑ci contient des éléments beaucoup plus anciens, aussi bien d'ordre mythique que prophétique. Genèse 1 est le résultat de la méditation sans doute plusieurs fois séculaire de nombreuses générations de prêtres en Israël sur le mystère du monde et de l'homme, à la lumière à la fois des intuitions religieuses, sapientiales et donc d'ordre mythique qui sont communes à toute l'humanité, sous des expressions variées, et d'une manière spécifique de la révélation faite à Israël par l'élection, autrement dit par l'alliance s'exprimant par le don de la loi" [1].
Nombreux sont les théologiens qui soutiennent que Gen 1 et 2 est tiré de ce récit babylonien de la création. Pourquoi pas l'inverse? Pourquoi le récit babylonien ne serait‑il pas une reproduction corrompue de la tradition orale relative à la création du monde et qui fut consignée dans la Bible, un peu comme la tradition d'un déluge commune à beaucoup de civilisations depuis l'Amérique du Sud jusqu'en Asie peut être le récit défiguré par la transmission orale de la catastrophe universelle relatée par la Genèse?
a) Les différentes interprétations proposées de Genèse 1:
Le premier chapitre de la Genèse constitue un champ de bataille où s'affrontent l'enseignement de l'Eglise chrétienne sur l'origine du monde et de l'humanité et la connaissance scientifique. L'ancienne question de Tertullien: "Quel rapport y a‑t‑il entre Jérusalem et Athènes?" y trouve une formulation nouvelle: "Quel rapport y a‑t‑il entre Genèse 1 et la science?" Il y a d'un côté ceux qui constatent un haut degré de compatibilité entre les dernières découvertes et affirmations de la science et l'interprétation littérale de ce texte, et, de l'autre, tous ceux qui estiment que toute tentative de concilier le récit biblique de la création et les thèses de la science telles que la paléontologie et les lois de la thermodynamique procède d'une approche erronée de ce texte. D'où notamment la question: "Quelle fut la durée des jours de la création?" à laquelle on a donné des réponses diverses. Yôm peut‑il désigner dans Genèse 1 autre chose qu'un jour sidéral, surtout si la réalité désignée par ce terme est présentée comme composée d'un soir et d'un matin? L'onus probandi, le devoir d'en fournir la preuve, en incombe à ceux qui le prétendent. Mais n'anticipons pas.
Il existe globalement sept types d'interprétation de Gen 1:
1) Interprétation mythique:
Cf. ci‑dessus, la citation de G. Siegwalt.
Qu'est‑ce qu'un mythe? Le mot grec muthos n'apparaît que dans les derniers livres du Nouveau Testament. L'apôtre Paul recommande à Timothée de ne pas se tourner vers les mythes (1 Tim 1:4), prédit que les jours viendront où les hommes préféreront les mythes à la vérité (2 Tim 4:4) et demande à Tite de réprimander ceux qui se passionnent pour les mythes dont le propre à est détourner de la vérité (Tite 1:14). De son côté, l'apôtre Pierre rappelle à ses lecteurs que si l'Evangile est un message crédible, c'est parce que les apôtres ont été les témoins oculaires du Christ, et non parce qu'il se fonderait sur quelque mythe. Dans tous ces textes, le mythe est le contraire de la vérité. Ce qui est mythique n'est pas vrai, et inversement, ce qui est vrai n'est pas du domaine du mythe. Affirmer que le déluge ou la résurrection de Jésus sont des mythes revient donc à dire que ce sont des récits fictifs, imaginaires, relatant non pas des faits historiques, mais des histoires inventées dans le but d'illustrer une réalité d'ordre spirituel. Cela revient à dire que si le déluge et la résurrection de Jésus sont théologiquement vrais, ils ne le sont pas sur le plan de l'histoire. Ce sont des récits non historiques qui n'ont de valeur que parce qu'ils véhiculent des vérités théologiques ou kérygmatiques.
Si les premiers chapitres de la Genèse sont si souvent considérés comme mythiques, c'est parce qu'ils sont dits représenter une conception du monde prescientifique ou non scientifique. Fort de cette certitude, on taxe de mythe tout ce qui est présenté comme l'oeuvre d'un être surnaturel, mais que la science définit comme l'opération de lois et de forces impersonnelles. Le mythe est donc non seulement une expression imagée de la vérité, mais aussi une expression scientifiquement fausse, en tout cas invérifiable et, pour cette raison, scientifiquement inadéquate. R. Bultmann a donné du mythe cette définition devenue classique: "La mythologie est l'utilisation d'images pour exprimer les réalités transcendant ce monde en des termes empruntés à ce monde, et le divin en des termes humains" (Kerygma et Mythos, p. 10, n. 2). Il en a conclu que pour comprendre beaucoup de textes de la Bible, l'homme moderne devait les démythologiser. Démythologiser, et non dékérygmatiser! Mais il est permis de se demander si les tenants d'une telle herméneutique parviennent à faire l'un sans l'autre, à démythologiser sans dékérygmatiser. Quelle est l'évidence théologique d'un texte biblique qu'on interprète avec la présupposition herméneutique suivante: La vérité historique d'un texte importe peu, aussi longtemps qu'on retient son enseignement véritable?
La définition du mythe retenue par la théologie moderne est problématique pour trois raisons. Premièrement, elle est tellement large qu'elle fait de toute affirmation théiste un mythe. Deuxièmement, elle laisse entendre que tout ce que la Bible dit de Dieu reflète une conception du monde naïve que la science a réfutée. Enfin, une telle définition ne procède pas d'une étude ee la mythologie, mais de l'opposition entre le mythe et la science. Ce n'est pas par une étude approfondie des mythes de la littérature antique que Bultmann a débouché sur la définition du mythe proposée par lui. Sa définition est beaucoup plus rationaliste et philosophique que phénoménologique.
Le texte de Gen 1 est dit constituer une représentation des origines de l'univers qui reproduit les croyances du monde de l'époque, tout en les épurant de leur polythéisme. Il est à prendre et à interpréter comme tel.
Mieux qu'un long discours, nous reproduirons des extraits de deux récits de la création issus des civilisations anciennes qui montreront le fossé infranchissable qui les sépare du récit biblique. Tout d'abord un texte tiré du Mystère d'Atrahasis: "Lorsque les dieux étaient (encore) hommes, ils assumaient le travail et supportaient le labeur. Grand était le labeur des dieux, lourd leur travail, et longue leur détresse... Ils appelèrent et interrogèrent la déesse, la sage‑femme des dieux, la sage Mami: "C'est toi, ô Génitrice, qui de l'humanité (seras) la créatrice. Crée l'être humain pour qu'il porte le joug, pour qu'il porte le joug de la tâche imposée par Enlil, pour que l'homme assure le dur travail des dieux" [2].
Puis un extrait du récit babylonien de la création, le poème intitulé Enuma Elish, découvert dans les ruines de la bibliothèque d'Assurbanipal (669‑627) à Ninive, auquel se joignirent d'autres fragments mis à jour à Erec, Kish et Assur. Ce récit dit entre autres: "Lorsqu'en haut le ciel n'était pas (encore) nommé, qu'en bas la terre n'avait pas de nom, que le primordial Apsou, de qui naîtront les dieux, la génitrice Tiamat, qui les enfantera tous, mêlaient en un seul tout leurs eaux, qu'agglomérées n'étaient les pâtures, ni visibles les cannaies, alors que des dieux aucun n'avait (encore) paru, n'était nommé d'un nom ni pourvu d'un destin, (alors) de leur sein des dieux furent créés... Apsou, prenant la parole, d'une voix aiguë dit à Tiamat: Leur conduite est pénible pour moi. Le jour je suis sans repos, la nuit, sans sommeil. Je veux détruire, anéantir leurs agissements, pour que règne le silence, et que nous, nous dormions" [3].
Mais Mardouk triomphe de Tiamat, la tue et de son cadavre crée le ciel et la terre: "S'étant apaisé, le Seigneur, de Tiamat, contemple le cadavre. Il veut diriger le monstre, en créer de belles choses. En deux il le fendit, comme un poisson séché, en disposa une moitié dont il plafonna les cieux, traça la limite, mit en place des gardes, et leur donna mission d'empêcher ses eaux de sortir... Je veux faire un réseau de sang, former une ossature et dresser un être humain et que son nom soit l'Homme! Je veux créer (cet) être humain, (cet) Homme, pour que, chargé du service des dieux, ceux‑ci soient en paix... On enchaîna Kingou. Devant Ea on le maintient, on lui inflige le châtiment. De son sang Ea créa l'humanité, lui imposa le service des dieux et libéra les dieux"[4].
Certes, il existe des points de ressemblance: l'existence d'un chaos primitif, la division des eaux au‑dessus et au‑dessous du firmament, la création de l'univers décrite sur sept tablettes (cf. les sept jours de la création) et même, pour l'épopée d'Enuma Elish, la création des luminaires le 4° jour et de l'homme le 6° jour.
Mais les divergences sont énormes: un ordre souvent différent, et surtout une conception religieuse aux antipodes de celle de la Bible. Les conceptions mythologiques (dieux d'un niveau peu élevé, combat entre ces dieux) tranchent sur le monothéisme sublime de Gen 1 et 2 et sur la toute‑puissance d'un Dieu qui crée le monde par sa parole souveraine. Les mythes païens sont en fait beaucoup plus des théogonies que des cosmogonies. Ils décrivent la naissance des dieux beaucoup plus que la création de l'univers, de la terre et du monde. Pour la Bible, Dieu existe antérieurement à tout élément créé. Le poème babylonien, au contraire, s'ouvre sur l'évocation d'un océan primitif où les eaux douces (Apsou) et salées (Tiamat), semblables à deux monstres, se mêlent, union d'où naîtront les dieux. Pour la Bible, Dieu est unique. Tout est ordre et sérénité. Dans le texte babylonien, on assiste à la production de toute une génération de dieux issus de l'union d'Apsou et de Tiamat. Dieux jeunes et turbulents qui perturbèrent le repos des dieux anciens et se révoltèrent contre Apsou. Apsou résolut donc de les anéantir. Le dieu Ea, ayant découvert son plan, le tua et engendra par la suite Mardouk, le dieu de Babylone. Tiamat se décida alors à agir et à venger la mort de son conjoint. Elle prépara la guerre, engendra des serpents géants dont le sang était tout entier venin, et créa des monstres pour qu'ils luttent contre les dieux révoltés, en leur donnant pour chef Kingu. Mais en vain. Ea répondit à la menace de Tiamat, en ordonnant à Mardouk de la renverser. Tiamat (le chaos) et Mardouk (dieu de la lumière) menèrent un violent combat dont Mardouk sortit vainqueur. Il triompha de Tiamat grâce à une formule magique et à une plante qui neutralisèrent le poison des monstres formés par Tiamat. Puis il la tua et, de son cadavre, créa le ciel, la terre, les airs et les eaux souterraines dont il fit le lieu de résidence des dieux. Il désigna la lune pour dominer la nuit et indiquer les mois et les jours de l'année. Du sang du Kingu, capitaine de l'armée de Tiamat, il fit l'homme qu'il contraignit à servir les dieux. Par sa victoire, Mardouk fut promu de sa position de divinité principale de Babylone à celle de chef de tous les dieux.
Dans la Bible, l'acte créateur est immédiat. Il résulte de la volonté exprimée par Dieu. Dans le récit babylonien, on assiste au contraire à un pénible enfantement du monde, à base de violence et de sang. Mardouk assigne un lieu de résidence aux dieux. La création de l'homme se fait à partir du sang d'un des dieux vaincus que les vainqueurs vont exécuter. Les dieux se réunissent donc en assemblée pour désigner une victime. Ce sera un certain Kingou qu'on enchaîne et tue pour fabriquer l'homme à partir de son sang.
En fait, le thème de la création ne saurait laisser indifférente une religion quelle qu'elle soit. Aussi bien toutes les religions connues possèdent‑elles des mythes de la création, tant en Babylonie qu'en Egypte, et même dans les religions actuelles d'Asie et d'Afrique. Les anciens Hébreux vivaient, eux, dans un monde baigné de polythéisme, un monde qui avait ses propres mythes de création véhiculant des valeurs religieuses polythéistes. Ils étaient donc en danger, au milieu de ces civilisations par ailleurs plus avancées qu'eux sur le plan matériel. Aussi fallait‑il que Dieu donne à son peuple un récit des origines conforme à ses desseins, un récit à la fois simple et compréhensible pour son peuple, un texte qui soit un contrepoids à l'enseignement polythéiste et décadent des anciennes religions ambiantes.
Le mythe n'est pas une explication scientifique ou pré‑scientifique. Il est le résultat d'une puissance d'imagination issue de l'homme et traduisant ses fantasmes et ses terreurs, exprimant les forces inconnues qui régissent sa vie. Il fabrique des dieux à l'image de l'homme. L'élément relaté se place dans un temps radicalement différent. Il n'a pas sa place dans l'histoire. Ses acteurs (dieux, héros, titans, astres, éléments, etc.) luttent entre eux. Cette lutte représente le combat que se livrent les forces de la nature. Ainsi se constitue ce qu'on pourrait appeler un véritable univers mythique fait de personnages qui accomplissent des oeuvres gigantesques (travaux d'Hercule, d'Atlas, vol du feu par Prométhée). C'est grâce à eux que les sociétés, les villes, les institutions ont pu être fondées, que le feu a été donné à l'homme, que la terre est devenue fertile et que la femme a pu être fécondée par l'homme. La fonction du mythe est d'expliquer le réel à partir du divin et à travers l'intervention d'un ensemble de personnages surhumains qui créent, fondent ou personnifient les aspects les plus importants de la vie humaine.
Le récit biblique de la création est tout sauf cela. Il situe la création non dans un autre temps, mais avant le temps. Le Dieu de la Bible est éternel, hors du temps. Mais en créant le monde, il crée le temps. D'autre part, la création n'a eu selon la Bible qu'un acteur: Dieu. Enfin, la fécondation mythique n'a pas besoin d'être actualisée dans le temps par des rites et des liturgies comme la prostitution sacrée. Aucune action humaine n'est nécessaire à l'acte créateur de Dieu. Rien ne le prolonge ni ne l'actualise. Dieu seul crée, par l'effet de sa volonté, et sa création est dès lors achevée. Le monergisme divin s'applique non seulement à la rédemption, mais aussi à la création du monde, et les quelques similitudes entre le récit biblique et le mythe babylonien n'autorisent en aucune façon à faire procéder celui‑là de celui‑ci.
La Bible rejette radicalement toute forme de mythologie. Yahvé seul est Dieu et il agit seul. Les "monstres marins" (Gen 1:21), loin d'être à l'origine du monde, ne sont que des créatures. Les dieux chthoniens (océan, ciel, terre) et les divinités astrales (soleil, lune, étoiles) ne sont que des objets fabriqués par Dieu, des créatures qui ne sont ni des dieux, ni des incarnations de divinités, ni des objets régis par elles. En Egypte, le dieu‑soleil, Râ ou Ré, était l'un des plus grands dieux du panthéon, surpassé seulement par Osiris, le dieu des morts. Même la religion babylonienne, davantage centrée sur la lune, lui assigne une place de choix. Appelé Shamash, il était l'objet d'une grande faveur, car il avait pour fonction de protéger les voyageurs, de mettre en lumière les fautes des hommes au jour du jugement, et surtout il était le dieu des devins. Un lien étroit existait ainsi entre le soleil et la divination. Le désir d'interroger l'avenir, si fondamental dans toutes les religions anciennes, se retrouve de nos jours, si on en juge par l'incroyable faveur dont jouissent, même à notre époque scientifique, les cartomanciennes, devins, voyantes et astrologues. La plus célèbre de nos voyantes ne s'appelle‑t‑elle pas Madame Soleil? Le récit de la Bible, quant à lui, ôte au soleil toute vertu divine en ne lui laissant que le rôle de simple agent subalterne, choisi par Dieu pour éclairer la terre. Il ne sait rien et ne révèle rien. Il n'est qu'un objet lumineux créé par Dieu pour éclairer la terre, rythmer les jours et les saisons. C'est tout!
La lune, vénérée en Mésopotamie sous le nom de Sin, n'est elle aussi qu'un objet lumineux, placé dans le ciel pour éclairer la nuit. Dieu est le Créateur de l'univers, le fondateur des lois. C'est lui, et non le soleil ou la lune, qui fixe le cours des planètes, qui régit le passé, le présent et l'avenir, qui veille sur la destinée des hommes. Le soleil et la lune ont si peu de pouvoir qu'ils ne sont même pas nommés. Le récit de la création se contente de parler du grand et du petit luminaire (Gen 1:14‑17). Quant aux étoiles, en qui tant d'hommes de nos jours ont la stupéfiante naïveté de mettre leur confiance, le texte dit tout simplement: "Il fit aussi les étoiles" (Gen 1:17). Petite phrase lapidaire, presque une parenthèse.
Tout ce que Dieu avait fait était très bon, et aucune créature ne portait en elle des germes de fatalité conduisant au mal et au malheur, à la destruction et à la mort. On ne peut donc pas attribuer le mal à Dieu ni à quelque lacune originelle dans la création. Au contraire, dans les religions anciennes le mal vient des dieux souvent malfaisants, qui trichent, se haïssent et se querellent. Ou bien il résulte d'une faille dans la création, d'une oeuvre incomplète ou imparfaite. Dans les mythes babyloniens, les dieux sont par ailleurs accablés de peines et de fardeaux et créent l'homme pour s'en décharger. Ils ont besoin de l'homme pour ne plus souffrir. Cf. à ce sujet, ci‑dessus, les textes d'Enuma Elish et du Mystère d'Atrahasis. Le Dieu de la Bible, lui, n'a nullement besoin de créer. Il le fait par une libre décision et par amour, en courant un risque terrible: celui de voir sa créature libre se détourner de lui. Il le crée dans une liberté absolue, parce qu'il veut communiquer avec des êtres libres. Il veut les faire participer à ce qu'il est. Voilà pourquoi, connaissant par avance leur chute, il prend le risque de les créer. Et il leur donne de l'autorité sur le monde, leur remet la direction de la création, d'une création en parfait état de fonctionnement.
Les divinités de l'Orient ancien se sont réservé l'immortalité. Pour les hommes, la mort est le lot commun voulu des dieux. C'est ce qu'affirme la fameuse épopée de Gilgamesh, ce roi semi‑légendaire du XXVII° siècle avant Jésus‑Christ, à la recherche constante de l'immortalité: "O Gilgamesh, pourquoi cours‑tu de tous côtés? La vie que tu cherches, tu ne la trouveras pas! Lorsque les dieux créèrent l'humanité, ils placèrent la mort pour l'humanité, ils retinrent la vie entre leurs mains" [5]. Ici, la mort est voulue par les dieux. Elle fait partie de leur plan. Selon la Bible, au contraire, Dieu n'a pas créé la mort. Il voulait l'homme immortel. Et lorsque ce dernier tomba dans le péché, il lui promit la victoire et l'immortalité et lui donna un Rédempteur!
On le voit, les différences sont trop nombreuses et les contradictions insurmontables. Les païens se sont toujours fait des dieux à leur image, projetant sur eux leurs rêves, leurs fantasmes et leurs peurs, tandis que selon la Bible c'est Dieu qui créa l'homme à son image.
2) L'interprétation de la haute critique:
Il s'agit de la critique des sources de Graf/Wellhausen, distinguant entre différents documents (Yahviste, Elohiste, Deutéronomiste et Code Sacerdotal) compilés par des rédacteurs anonymes. A la différence de Gen 2 et 3 attribués au Yahviste, Gen 1 est considéré comme faisant partie du Code Sacerdotal, document littéraire issu des milieux sacerdotaux pendant ou après l'Exil. La critique des formes a par ailleurs procédé à l'analyse des différents genres littéraires des textes bibliques et considère Gen 1 comme une confession de foi de l'époque dite sacerdotale. C'est le point de vue de théologiens tels que Gerhard von Rad (La Genèse, p. 43), Frank Michaëli (Le Livre de la Genèse, Ch. 1‑11, p. 15) et d'autres encore. Frank Michaëli, par exemple, voit dans notre texte "le témoignage d'une foi au seul Dieu créateur et souverain du monde et de l'histoire. Ce témoignage, sorte de confession de foi, s'exprime non dans des formules intellectuelles, mais dans des textes profondément religieux, où l'adoration trouvait son expression dans le culte et la liturgie. Nous devons donc nous placer sur le même plan que les anciens écrivains, si nous voulons saisir leur pensée et en découvrir la valeur éternelle" (o.p., p. 15).
Cette explication ne me paraît pas non plus satisfaisante. Je laisse ouverte pour l'instant la question de savoir si Gen 1 peut être assimilé à une confession de foi en la toute‑puissance souveraine de Dieu, seul Créateur du monde, y compris du soleil, de la lune, des étoiles et des astres qui ne sont que des créatures et que l'homme n'a ni à craindre ni à vénérer. Tout texte de la Bible, quel que soit sa raison d'être dans l'Ecriture, n'est‑il pas aussi et toujours confession de foi? Mais je ne peux pas attribuer Gen 1 à une école de prêtres de l'époque exilique ou postexilique. Ce chapitre figure dans un livre que le Judaïsme, le Christ et les apôtres ont toujours considéré comme l'oeuvre du plus grand prophète d'Israël, Moïse.
3) Interprétation restitutionniste:
Due à l'Ecossais Thomas Chalmer qui la proposa en 1814, on la trouve sous la plume de théologiens tels que Fr. Delitzsch, Wisemann, Buckland. La Bible dite de Scofield (1° édition en 1909) lui a donné une large diffusion dans les milieux dispensationalistes. Connue sous le nom de restitutionnisme ou de théorie de l'intervalle (gap theory) ou de la parenthèse, elle distingue entre une création première (Gen 1:1) et une création seconde (Gen 1:3‑31). Une longue période se serait écoulée entre les deux, faite d'un changement catastrophique dû à la chute des anges (Fr. Delitzsch), changement dont le résultat fut le tohu‑bohu de Gen 1:2. Mais Dieu décida un jour de réhabiliter et de réparer le monde, pour en faire l'habitat de l'home. C'est ce qui est relaté Gen 1:3.
On notera cependant que le texte ne dit pas que la terre devint informe et vide, mais qu'elle l'était (wehâ'ârèts hâyethâh thohû wabohû). D'autre part, le waw de coordination qui introduit le V.2 n'autorise guère à faire durer le tohu‑bohu les milliards d'années que représentent les temps cosmiques ni même les millions d'années des ères géologiques. On a cru cette théorie confirmée par des textes tels que Es 42:1; Jér 4:23‑26; Job 9:4‑7; 2 Pi 2:4, mais aucun d'eux n'affirme que la chute des anges a réduit la terre à un chaos ni que Dieu l'a réorganisée avant de créer l'homme. L'Ecriture dit aussi que le monde et tout ce qu'il contient fut créé en six jours (Gen 2:1; Ex 20:11), et rien n'autorise à retrancher Gen 1:1.2 du récit de l'hexaemeron pour en faire l'affirmation d'une "première création". Il semble bien que ces deux versets fassent partie d'un tout.
4) Interprétation révélationniste:
Elle soutient que Moïse reçut la révélation concernant la création du monde sur une période de six jours. Selon ce point de vue, les six jours de Gen 1 étaient des jours dans la vie de Moïse et non des jours de création. "La création a été "révélée" en six jours et non "accomplie" en six jours", écrit Bernard Ramm, partisan de cette explication (The Christian View of Science and Scripture, Grand Rapids 1954, p. 222). Cependant, ce n'est pas ce que dit Gen 1, et par ailleurs cette interprétation se heurte à Ex 20:11 qui affirme bel et bien qu'"en six jours l'Eternel a fait les cieux, la terre et le mer et tout ce qui y est contenu, et il s'est reposé le septième jour".
5) Interprétation concordiste:
Selon cette exégèse, défendue traditionnellement par de nombreux théologiens évangéliques, le mot "jour" désigne en fait des périodes ou ères géologiques. Certains Pères déjà pensaient que Dieu avait créé le monde en un acte unique, que Gen 1 en constitue un cadre littéraire symbolique disséquant cet acte unique en plusieurs éléments, pour rendre la création de l'univers intelligible à l'esprit limité de l'homme. C'était le cas de Clément d'Alexandrie, d'Origène [6], d'Athanase [7] et d'Augustin.
Cette interprétation fut reprise dans les milieux conservateurs des temps modernes [8] et s'emploie à concilier les affirmations de Gen 1 avec les données de la science, notamment en ce qui concerne les périodes géologiques. C'est ainsi qu'elle s'efforce de montrer que les jours de la création (yôm) peuvent fort bien désigner ces différentes ères. C'est postuler que yôm en hébreu puisse désigner autre chose qu'un jour sidéral. On invoque pour cela les faits suivants:
1) Le soleil ne fut pas créé avant le 4° jour; il n'a donc pas pu y avoir de jour sidéral avant ce jour‑là. Cependant, du fait qu'il y avait déjà alternance du jour et de la nuit avant la création du soleil, Dieu pouvait donner aux trois premiers jours la même durée qu'aux autres.
2) Le mot yôm peut avoir plusieurs sens en hébreu. Il désigne tantôt le jour par opposition à la nuit (Gen 8:22; 29:7; Ps 139:12), tantôt l'ensemble du jour et de la nuit rythmé par le lever et le coucher du soleil (Gen 1:5.8.13.19.23.31; Ex 12:6.18), tantôt une époque donnée (Prov 25:13: "le jour", i.e. "le temps de la moisson"; Eccl 7:14: "Au jour du bonheur, sois heureux"; Abd 12: "Ne repais pas ta vue du jour de ton frère, du jour de son malheur"). Yôm est pris parfois dans le sens élargi d'une durée mal définie, quelquefois très étendue, par exemple Gen 2:4: "Au jour où le Seigneur Dieu fit (beyôm hasôth yahweh 'èlohîm) la terre et les cieux", ou Jér 39:17: "En ce jour‑là (bayyôm‑hahu'), je te délivrerai, dit l'Eternel, et tu ne seras pas livré entre les mains des hommes que tu crains".
C'est vrai pour la plupart des langues. "Un jour, tout sera bien, voilà notre espérance" disait par exemple Voltaire. D'autre part, yôm entre avec différentes prépositions dans la construction de conjonctions ou d'adverbes de temps aux sens divers (beyôm: le jour où, i.e. quand; bayyôm: pendant le jour, le même jour, tout de suite; kayyôm: en ce jour, i.e. maintenant; mîyyôm: à partir du moment où, depuis, etc.). Tout cela peut se vérifier dans d'autres langues de l'époque, notamment l'ougarite et l'araméen. Il n'en est pas moins vrai aussi que le sens du mot yôm est précisé dans le récit de la création, qu'un cadre est tracé à ce terme par l'alternance d'un soir et d'un matin et qu'il faut donc donner à ce terme dans le récit de la création le sens que l'auteur a voulu lui donner.
3) Les jours de la création sont des jours divins, des jours archétypes dont les jours de l'homme ne sont que des copies ectypes. Mille ans sont aux yeux de Dieu comme un jour (Ps 90:4; 2 Pi 3:8). Mais c'est confondre le temps et l'éternité. "Mille ans" égale non pas 1000 x 365 jours, mais l'éternité. Dieu est au‑dessus et hors du temps. C'est ce qu'affirment en fait Ps 90:4 et 2 Pi 3:8. Les seuls jours qu'il a créés semblent être les jours sidéraux de ce monde, et le mot yôm ne désigne jamais dans la Bible pour les hommes que nous sommes une période de mille ans. D'ailleurs a‑t‑on le droit de déduire de l'affirmation de l'éternité de Dieu qu'un jour défini par la succession d'un soir et d'un matin peut durer aussi bien 24 heures qu'une ère géologique?
4) Le 7° jour, jour du repos de Dieu, dure jusqu'à présent et n'a pas de fin. Ce n'est pas exact. L'idée que Dieu commence la création à un moment donné, puis qu'il l'achève après six jours, ne s'applique pas à Dieu tel qu'il est en lui‑même, mais au résultat temporaire de son activité créatrice. Dieu est immuable, toujours à l'action dans ce qu'on appelle la creatio secunda seu continua, et donc jamais en repos. Ce dont il "se reposa", ce fut la création première qui prit bel et bien fin au soir du 6° jour. Le texte laisse entendre que le sabbat de la semaine de la création fut égal aux autres jours. On pourrait objecter enfin que Dieu a institué le sabbat comme un jour sidéral de repos (Ex 20:11) et que, pour cette raison, rien n'autorise à donner au septième jour de Gen 1 une durée autre qu'aux six premiers.
On comprend pourquoi la plupart des exégètes n'ont pas de sympathie pour cette approche du récit de la création. Le catholique J. Chaine écrit: "On crut trouver une harmonie entre le premier chapitre de la Genèse et les découvertes de la géologie et de la paléontologie. Moïse parlait comme les savants. Les six jours, malgré leurs soirs et leurs matins, devinrent des périodes. Ce fut une grave erreur" [9]. De même le protestant Frank Michaëli: "Quant à donner au mot jour une signification pseudoscientifique correspondant à une période ou à une ère géologique, c'est lui attribuer un sens moderne qu'il n'a certainement pas dans la langue biblique" [10].
Le souci du concordisme est de montrer qu'il n'y a pas de contradiction entre la Bible et la science. C'est ainsi qu'on vit des théologiens s'extasier sur l'étonnante conformité du récit des origines aux données nouvelles de la géologie et de la paléontologie. Et on en arriva à calquer la semaine de la Bible sur les ères géologiques de la science. "Jour" en vint à signifier "période géologique". On fit observer à quel point la Bible et la science concordaient merveilleusement. La science disait‑elle que la terre était d'abord entièrement recouverte d'eau? La Bible aussi. Que la lumière était un facteur essentiel à l'éclosion de la vie sur terre? La Bible aussi. Et de souligner combien l'Ecriture respecte le schéma évolutionniste, puisqu'elle énonce, dans l'ordre de leur prétendue apparition sur terre, les genres minéral, végétal, animal. De plus, les animaux marins sont cités d'abord. Preuve, pensait‑on, que la Bible ne se trompe pas. La science évolutionniste enseignait que l'homme est la fine pointe, le point culminant de l'évolution, l'aboutissement de lentes transformations poursuivies pendant des millions d'années. Or la Bible ne dit‑elle pas que l'homme fut créé le sixième jour? En fait, Gen 1 n'est‑il pas une sorte de récit scientifique simplifié à l'extrême, mais e
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