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Oui, cette supplique nous parle des deux visages de la croix : Un sujet deffroi et de bénédiction.
Vendredi Saint - psaume 22.1-27
Frères et sœurs, voulons-nous vraiment savoir ce qui s'est passé ce jour à Golgotha ? Alors écoutons bien ce psaume : le Sauveur crie au monde ce qu'il a enduré sur la croix, pour qu'en jaillisse un torrent d'amour et de consolation.
Oui, cette supplique nous parle des deux visages de la croix : Un sujet d'effroi et de bénédiction.
I
Un sujet d'effroi. Je me souviens d'une moquerie, il y a des années, qui m'avait particulièrement frappée. La personne disait : « Vous les chrétiens, vous portez l'instrument de torture de votre dieu autour du cou ! S'il avait été exécuté sous la Terreur, en 1793, auriez-vous une guillotine à la place de votre croix ? »
De même, à Paris, chaque samedi, notre temple est occupé par une communauté adventiste ; eh bien, j'ai découvert un jour que le crucifix sur l'autel était systématiquement remisé à la sacristie. On le remettait en place en partant. Et très récemment, vous vous rappelez peut-être du service de sainte cène que je vous ai présenté au cours d'un après-midi paroissial ; au magasin où je l'avais emprunté, on m'avait bien précisé que la croix sur le plateau était amovible. Dans beaucoup d'assemblées évangéliques, en effet, on ne voudrait pas de ce symbole qui ferait trop catholique...
Sujet de moquerie, d'incompréhension, de rejet, voulons-nous savoir pourquoi l'Eglise a choisi la croix comme signe de ralliement ? Alors oui, écoutons bien le psaume 22. C'est une confession publique du crucifié, le cri de son agonie pour notre salut.
Mais vous direz peut-être : Pasteur ! Le journal télévisé nous a déjà montré tant horreurs ; faut-il venir au temple pour continuer à broyer du noir ?
Hélas ! Un bon médecin va-t-il cacher son mal à un patient ? Faut-il taire le diagnostic sous prétexte qu'il me donne des angoisses ?
Sommes-nous jamais assez sensibles au péché, et touchés par le mal que nous faisons ? Avons-nous suffisamment peur de nous-mêmes et de nos réactions ? Et savons-nous seulement pourquoi le ministère de Jésus s'achève par de tels tourments ? Ici, il n'y en a pas que pour les adversaires comme Caïphe, les enragés du sanhédrin, les complices comme Pilate, les traîtres comme Judas, les désespérés comme Pierre : il y en a aussi pour nous. « Nous étions par nature des enfants de colère - écrira Paul un peu plus tard (Ep 2) - comme les autres ». Et il ajoute : « Le salaire du péché, c'est la mort » (Rm 6.23).
Tout au long des siècles dans la chrétienté, les artistes ont représenté le Christ en croix ; la vision la plus saisissante étant à mon avis tout près d'ici, à Colmar. Un crucifix plus ou moins réaliste orne ainsi l'autel de quantité d'églises, dans notre synode et chez nos voisins, tandis que d'autres lui préfèrent la croix nue - comme celle-ci - qui évoque aussi la résurrection. Cependant, quelle que soit sa forme et la représentation qu'elle propose, ne cachons pas cette croix à la sacristie ! Et si le retable d'Issenheim nous donne des malaises, tant mieux. C'est dans l'esprit du Seigneur de nous infliger cette thérapie. Apprenons le dégoût du péché sous cette croix. Si elle domine Golgotha depuis deux mille ans, c'est à cause de nous finalement.
Mais là encore, quelques-uns diront : si je relis les Dix Commandements, ben... je ne suis pas un si mauvais croyant !
Personnellement, je n'oserais jamais m'exprimer de cette façon. En chaque être humain réside une part d'ombre. Heureux celui qui a la chance de ne jamais l'avoir vue émerger. Mais malheureux celui qui nie cette part de lui-même.
Jésus ne m'apprend-il pas à demander le pardon de mes offenses, comme je pardonne - en théorie ! - à ceux qui m'ont offensé ? Car je ne suis pas très beau quand je tourne le dos à ma femme, quand je me défile devant les problèmes ou la solitude d'un frère, en faisant semblant de ne pas les voir. Je suis moche dans ma foi chaque fois que j'ai honte du crucifié, que je préfère ne pas en parler... Où est mon amour pour son Evangile, ma vocation de baptisé, mon serment de confirmands, ma réponse à le servir quand je considère l'emploi du temps de mes semaines, des mois écoulés...
Maudite croix qui doit harceler nos consciences ! Car « maudit quiconque est pendu au bois » écrit Paul. Le Christ fut maudit parce qu'il portait toutes les offenses du monde. D'où la plainte du crucifié : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné » ! Le péché privait effectivement le Fils de Dieu de tout secours pour qu'il endure la peine des damnés. Etre damné, c'est n'avoir plus de Dieu. C'est l'absence totale d'espoir et de secours. C'est effrayant. Ceux qui sont passés par cette pénible impression comprennent cette plainte.
Le psaume 22 annonce les terreurs de celui qui crie le jour, et Dieu ne répond pas ; la nuit, et il ne trouve pas de repos. Il envie les patriarches auxquels Dieu répondait toujours. Mais lui, il est traité comme un ver et non comme un homme ; il n'inspire que répulsion et dégoût !
Pourquoi cet abandon ? Esaïe nous répond : « Ce sont nos souffrances qu'il a portées, c'est de nos douleurs qu'il s'est chargé. Il était blessé par nos transgressions, brisé à cause de nos fautes. » En d'autres termes, tous les péchés du monde sont là, dans son cœur, et le tourmentent. Et de fait, toute la réprobation de Dieu pèse sur lui.
J'entends dire que les cultes seraient plus agréables sans confession des péchés. Quelqu'un me disait récemment : dans votre Eglise, vous parlez toujours de repentance ; si Dieu nous a déjà pardonnés, pourquoi le lui demander à nouveau ?
Mes amis, ne sous-estimons jamais le péché ! Ne raisonnons pas comme s'il s'agissait d'une illusion ou d'une affaire classée ! Gardons du psaume 22 au moins un enseignement : il est terrible de tomber entre les mains du Dieu vivant ! Cet avertissement contient une angoisse nécessaire. Christ nous parle ici de souffrances et de plaintes réelles. Alors tirons des leçons de sa plainte, pour notre piété et notre louange !
Aux tourments de l'âme s'ajoutent les railleries du monde : « Tous ceux qui me voient se moquent de moi, ils ricanent, ils hochent la tête, dit le psalmiste : Recommande ton sort à l'Eternel ! L'Eternel le sauvera, il le délivrera, puisqu'il l'aime » ! Ces paroles prophétiques s'accompliront à Golgotha.
On inflige au supplicié des insultes qui font très mal. On se moque de lui, parce qu'il prétend être le Fils de Dieu. On rit de ce qu'il a de plus cher : son pouvoir d'aimer et de sauver. Il ne peut même pas compter sur un peu de solidarité, comme on en trouve chez les gens qui partagent la même galère.
C'est ce que Jésus appelle lui-même « le péché contre le saint Esprit », c'est-à-dire le mépris de son Evangile. Ce péché fait que tous les autres restent impardonnables.
Pourtant, le condamné prie : « Oui, tu m'as fait sortir du ventre de ma mère, tu m'as mis en sécurité contre sa poitrine ; dès ma conception, j'ai été sous ta garde, dès le ventre de ma mère tu as été mon Dieu. Ne t'éloigne pas de moi quand la détresse est proche, quand personne ne vient à mon secours » !
Vous avez expérimenté, je pense, combien il est difficile, dans la douleur, de rester docile et confiant ! On souffre, on doute, on est abattu ! Ou alors on accuse l'Eglise, le pasteur : ses manques, ses lacunes... Je comptabilise ses maladresses comme si j'étais la vertu incarnée. Rien de semblable dans la plainte du crucifié. Lui qui n'avait jamais commis de péché, Dieu l'a pourtant fait devenir péché pour nous. Plus tard, il mettra cette obéissance à notre crédit pour que Dieu nous regarde comme des justes.
Tourments de l'âme, moqueries... Puis vient le supplice des criminels : ils ont percé ses mains et ses pieds, annonce le psaume. On le méprise assez pour se distribuer le peu qu'il avait. On se partage ses vêtements. On tire au sort son habit. Voilà tout le bénéfice que les soldats pensent en tirer. Alors que lui, en cet instant, prépare pour les coupables le manteau blanc de la justice et de l'innocence.
Oui, c'est vrai, le malaise est profond quand on lit ce psaume. Dimanche dernier, nous avons entendu Jésus demander : « Si l'on traite ainsi le bois vert, qu'arrivera-t-il au bois mort ? » (Lc 23.31) Cela voulait dire : Si j'ai tant souffert à cause de péchés qui m'étaient étrangers, quel ne sera pas le sort des vrais coupables ?
Ici, nous devrions faire une minute de silence, non seulement par respect pour le crucifié, mais pour réfléchir, chacun pour soi, dans l'intimité de son cœur, à sa part de responsabilité.
II
Mais attention : il ne faut surtout pas s'arrêter là ! Si l'homme ne voit que ce visage de la croix, il la rejettera violemment. Il condamnera de toutes ses forces ce père qui laisse ainsi mourir son enfant. Enlever à la croix une partie d'elle-même, c'est aussi tomber dans le piège du légalisme. En effet, sans sacrifice expiatoire, la malédiction de la loi demeure et il me faudra trouver d'autres chemins pour l'apaiser. Je serai toujours dans la logique du donnant-donnant et la tyrannie des œuvres ! Dans les deux cas, Christ est mort en vain. C'est pourquoi rappelons quelle bénédiction offre cette croix !
Je vais vous faire une confidence : cela ne me choque pas de voir un chrétien embrasser un crucifix, pourvu qu'il le fasse en mettant sa confiance dans le crucifié, et non dans une pièce de bois ou de métal ! Car il y a de quoi aimer cette croix à cause de celui qu'elle porte !
Frères et sœurs, Jésus n'a pas souffert pour que nous sortions du culte avec la nausée, comme on peut sortir d'un cinéma après avoir vu la passion selon Mel Gibson. Notre Sauveur ne veut pas non plus que sa croix soit pour nous un sujet de lamentations ou de contemplation morbide. Il nous aime trop pour nous laisser sur cette impression.
Dieu désire qu'un bien immense couvre notre peine. A l'exemple de cette femme en larme qui, un jour, a versé un parfum précieux sur les pieds du Maître ! Elle avait compris le prix de l'amour dans l'annonce de sa mort pour les péchés du monde, donc pour les siens, les tiens et les miens.
Puisse le Saint Esprit nous donner pareillement des larmes de bonheur lorsque nous regardons la croix. En effet, Jésus est mort pour nous éviter ce que la Bible appelle la seconde mort : la mort spirituelle qui nous aurait maintenus éternellement sous la domination du péché. Cela fait plus de 2000 ans que des enfants, les femmes et des hommes trouvent au pied de la croix le pardon qui guérit, la lumière qui libère, la confiance et la joie de se savoir aimé tel que l'on est, parfaitement et totalement aimé. Ecoutez comme il en parle, dans ce psaume : « Il ne méprise pas, il ne repousse pas le malheureux dans sa misère et ne lui cache pas son visage... Les malheureux mangeront et seront rassasiés, ceux qui cherchent l'Eternel le célébreront ! »
Nous avons dit que ce psaume nous parle des deux visages de la croix : Elle est un sujet d'effroi, mais aussi de bénédiction. Le pardon va se déverser en cascade sur l'enfant de Dieu.
Dans notre catéchisme, page 47, il y a un passage que j'aime beaucoup où les auteurs expliquent la différence entre la loi et l'Evangile. Parmi les quatre réponses, il y a celle-ci : la loi nous dit ce que nous devons faire ; l'Evangile par contre nous dit ce que Dieu a fait et continue de faire pour notre salut. C'est le mot continue qui m'intéresse ici.
Ces paroles affirment que lorsqu'un chrétien prie, Jésus l'entend. Quand il désespère de lui-même, il pardonne. Quand il est tourmenté, il accourt. Quand l'épreuve fait très mal, il est là. Quand la maladie nous torture, que la mort menace, il se tient près de nous et met à notre disposition le prix de ses souffrances.
Maintenant, nous pouvons construire solidement et aller de l'avant : le Sauveur nous précède ; le Roi de l'Eglise entoure ses enfants, veillent sur eux et les fera asseoir avec lui dans le royaume de son Père. De sa croix descendent pour nous un torrent d'amour, un fleuve intarissable de pardon, une source inépuisable de paix.
Quand on sait voir ses deux visages, la croix de Golgotha se dresse dans l'histoire comme la plus belle alliance entre Dieu et l'humanité.
Une alliance, par définition, est appelée à durer. Eh bien ! En vertu de sa passion et de sa mort innocente, l'Eternel peut nous faire ce serment : « J'accomplirai mes vœux en présence de ceux qui te craignent... Que votre cœur vive à perpétuité ! »
Mes amis, prêchons Christ crucifié, ne supprimons pas la confession des péchés de nos cultes ! L'Esprit veut que nous regardions la croix avec confiance, que nous soyons attirés par elle ! Il désire que nous recherchions le Christ dans sa Parole, que nous l'écoutions, que nous l'adorions et le servions.
Il a pour chacun les moyens de vaincre le péché et la mort. Il a de quoi rendre ferme et solide le plus faible. Il a de quoi bénir ta vie, ton couple, tes études, ton travail, tes projets et tes voeux...
Sur cette croix, il y a quelqu'un qui nous comprendra toujours, qui nous consolera et nous accueillera toujours. Quelqu'un qui saura nous faire chanter en dépit des échecs, espérer malgré la vieillesse, triompher malgré la mort.
Nous n'avons qu'une chose à faire, toute simple, toute facile et si agréable : nous laisser aimer, nous laisser soigner et consoler, nous laisser fortifier !
Sur cette croix il a tout fait à merveille. Là, il ne manque aucune parcelle de son amour.
Alors c'est vrai, cette croix a deux visages : Celui de la malédiction et celui de l'amour. Mais Christ est venu engloutir la malédiction pour que nous soyons bénis d'amour ! Amen !
« A l'agneau qui a été immolé et qui a racheté pour Dieu des hommes de toute nation, de toute tribu, de tout peuple et de toute langue, soient l'honneur, la louange et la gloire d'éternité en éternité » ! Amen !
Tags : pensée
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